Un article du Café pédagogique propose un titre qui m’a interpellée : “Comment les profs tiennent…”
Pour ma part, je me suis d’abord demandée ce que signifiait “tiennent” dans le titre. La question centrale, étudiée par Sabine Coste (Formatrice à l’Espe de Lyon et membre du laboratoire Education Culture Politique) est en fait : “comment les enseignants quinquagénaires font-ils pour tenir ?”
Heuuu ok, voilà une question qui est presque d’actualité pour moi… Même si je ne me sens pas vraiment concernée, jusqu’ici. Encore que… Cela fait deux années de suite, peut-être plus, que je frôle le burn out et que ma famille m’arrête à temps. Même si j’attribue cela plutôt aux formidables opportunités qui me sont offertes et à mon inaptitude totale à accepter de passer à côté d’une occasion potentiellement épanouissante, peut-être cet article me permettrait-il de réfléchir différemment ?
Le propos central est le suivant : “Les questions du bien être au travail et celle de l’usure s’imposent avec le vieillissement du corps enseignant. Du fait de l’élargissement des tâches demandées aux enseignants leur professionnalité est mise à mal.” Parmi les causes d’épuisements les plus fréquemment identifiées chez les enseignants quinqua, on trouve :
- “L’organisation du travail : on demande de plus en plus aux professeurs de travailler en équipe mais la plupart du temps les emplois du temps ne permettent pas de se rencontrer.” Il faut donc consacrer davantage de temps de présence et de temps de travail personnel pour satisfaire ces exigences.
- “La porosité entre vie professionnelle et vie personnelle. (…) Les enseignants pensent
en permanence à leur travail qui envahit leur vie privée.” Apparemment, les quinquagénaires sont plus atteints que les autres, ce qui est étrange, je trouve. Jeune, je pensais tout le temps à mon travail, à mes élèves, à leurs problèmes, aux miens, aux nôtres. Je me laissais souvent envahir, de façon très désagréable. C’est n’est plus le cas, sans doute parce que je sais mieux maitriser ma pensée, mais aussi parce que j’ai acquis des gestes professionnels qui me permettent de me mettre moins en “faute” ou en insuffisance. L’expérience me permet de moins m’en vouloir, parce que j’ai l’impression de mieux faire les choses. Manifestement je suis moins modeste, en revanche. Il y a aussi qu’en dix ans j’ai organisé ma vie très différemment, et que j’assume de vivre mon métier en continu, comme avec ce blog. Un jour, je passerai sans doute à un rythme très différent. Et comme pour tout, lorsque je fermerai cette porte-là, ce sera définitif, mais réfléchi.
- “Ce qui pèse le plus sur les enseignants c’est l’absence de reconnaissance de leur travail“. Je comprends bien cela. J’ai de la chance, je reçois des signes de reconnaissance que j’identifie et qui me satisfont tout à fait. Mais c’est un véritable luxe, je le sais.
- Dans l’alourdissement des taches (reconnu par l’inspection), un exemple est donné, assez emblématique : l’accueil des élèves à besoins particuliers, dans des conditions de formations (…) et d’aide très insuffisantes (c’est frustrant et culpabilisant), est cité. C’est vrai que parfois on se demande comment faire pour être là pour tous et pour chacun en même temps. Justement parce que nous sommes bien convaincus du bien-fondé de l’école inclusive.
Madame Coste décrit très bien notre métier aujourd’hui : “Les enseignants qui durent sont ceux qui trouvent des satisfactions dans le travail, par exemple quand ils conçoivent des situations pédagogiques et quand ils constatent qu’avec elles les élèves progressent. Les enseignants éprouvent de la satisfaction quand ils voient briller les yeux de leurs élèves. Le métier d’enseignant n’est plus un travail uniquement de transmission. C’est devenu un travail de conception de dispositif pédagogique, d’accompagnement et d’évaluation.” En effet, ce que veulent les enseignants, c’est faire réussir leurs élèves, c’est trouver un sens à leur métier, c’est souvent même contribuer à changer la société. Et aujourd’hui, l’enseignement est un métier créatif. Reste à partager davantage cette idée, pour que tous les cadres permettent à tous les enseignants de vivre cette créativité. Tout est dans la confiance… Mais pour entendre beaucoup de témoignages d’enseignants de tous degrés, dans les faits, ce n’est pas toujours le cas, loin de là. Notez que je n’entends pas par là l’absence de contrôle : évidemment, notre travail, notre efficacité doivent être évalués et les formations adaptées et discutées en conséquence. Mais il n’y a aucune raison valable que cela se passe mal, comme d’ailleurs dans la relation humaine et d’apprentissage ente prof et élève.
“Ceux qui ne s’usent pas sont aussi ceux qui mettent en adéquation leur engagement professionnel avec les valeurs pour lesquelles ils sont entrés dans l’enseignement. Quand les enseignants retrouvent ces valeurs dans le métier ça leur permet de tenir.(…) Les enseignants âgés de plus de 50 ans viennent souvent d’un milieu modeste et ils ont vécu leur métier comme une ascension sociale. Ils veulent rendre à l’institution ce qu’elle leur a donné comme ils le rendent aux élèves.“
Au final, je comprends pourquoi ça va, pour moi : je me sens reconnue et j’y crois toujours, à fond, même. En lien avec la reconnaissance, toutes les nouvelles missions et tâches qu’on me confient rendent mon quotidien pétillant, complexe et déstabilisant juste ce qu’il faut. J’adore ça. En revanche, je vieillis, en effet, et je le sens : rester active physiquement huit heures (voire plus) dans une journée me fatigue, et parfois je me surprends à avoir envie de m’assoir. Mais ça, c’est la vie !
Il est beau, cet article. Mais je n’aime décidément pas le mot “tenir”, que je trouve de parti pris.
