Dans le film Le grand bain, de Gilles Lelouche, sorti en octobre 2018, on entre par une “contradiction géométrique”. Il y est question de ronds, de carrés, de courbes, de lignes brisées. Je ne m’attendais pas à une telle entrée en matière !
Je l’ignorais, mais ce film a reçu le César des lycéens. Et un dossier pédagogique lui est consacré sur Eduscol. On y lit, par exemple :
UNE CHORÉGRAPHIE DE FORMES GÉOMÉTRIQUES
Dès le pré-générique, la question des formes s’impose au spectateur. Un iris, donc une forme ronde, vient souligner dans le plan les propos de la voix off : « Une question géométrique est l’histoire d’une planète ronde et débile qui ne sait pas pourquoi elle tourne, qui ne sait pas pourquoi elle tourne tout le temps, comme ça, autour d’un soleil rond et débile qui ne sait pas pourquoi il brûle tout le temps, comme ça ; mais c’est aussi le récit d’une courbe qui devient droite puis se transforme en angle rigide, l’histoire d’un carré qui dégage le rond d’un coup de règle… » De prime abord, la mise en scène pro- pose une vision assez ludique, proche de l’animation, et n’est pas sans évoquer les lignes et vastes open-spaces du Playtime de Jacques Tati (1967). La comédie de Gilles Lellouche joue avec cette ronde continuelle, à la fois formelle et narrative, qui se retrouve notamment dans l’emploi d’ouvertures et de fermetures « à l’iris ». Les lignes dominantes du film dessinent une trajectoire d’abord heurtée, pour que les personnages puissent épouser la courbe et affronter finalement la vie et ses tracas. La force du groupe se trouve dans ces lignes qui acceptent de se courber ensemble, afin de redéployer des corps disloqués par les aléas du quotidien. Bertrand (Mathieu Amalric) est dépressif, Marcus (Benoît Poelvoorde) mène sa boîte vers la faillite, Simon (Jean-Hugues Anglade) est un musicien raté, Laurent (Guillaume Canet) ne décolère pas contre le monde entier, Thierry (Philippe Katerine) est sans cesse rabaissé, humilié. Les personnages principaux sont encerclés par une médiocrité qui les englue. La figure du rond se retrouve aussi dans le « cercle vicieux » de l’alcoolisme où s’est enfermée Delphine (Virginie Efira) et auquel elle essaie de se soustraire en participant à des « cercles de parole ». Tous tentent d’échapper aux espaces fermés pour se projeter dans l’ouverture d’un nouveau cercle communautaire et sportif à sept, puis huit membres. Les formes géométriques du rond et du carré hantent le film. La figure carrée, qu’elle soit symbole ou décor, les asphyxie dans une vie écrasée par les pro- blèmes : le chômage et la dépression pour l’un, la logique de l’échec pour les autres. La géométrie se déploie pleinement dans le point d’orgue (climax) que constitue la séquence olympique de danse synchronisée. Le travail opéré sur les formes et les couleurs témoigne d’une victoire sur la matière et renvoie explicitement aux grands ballets aquatiques orchestrés par Busby Berkeley et aux comédies musicales hollywoodiennes portées par Esther Williams, que Thierry regarde d’ailleurs sur l’écran de télévision, en forme d’aquarium vitré, qui se trouve sur son bureau. Le carré de l’écran implose pour laisser libre court à une chorégraphie endiablée, parfaitement synchronisée, qui passe des formes circulaires aux formes carrées avec une aisance et une maîtrise parfaites. La piscine, elle-même, a des allures d’immense rectangle et la géométrie se retrouve dans la circulation des liens fraternels qui finissent par unir les membres de l’équipe. La vérité générale assénée en voix off au début du film – « Un carré ne rentrera jamais dans un rond » – est démentie par le finale : « Il est désormais une certitude que personne ne pourra remettre en question, pour peu qu’on en ait l’envie : un rond peut rentrer dans un carré. »