Crispation : la “gestion de classe”

Dans l’enquête Talis, la question de la “gestion de classe” en France apparaît comme problématique.

En apparence tout va bien. 94% des enseignants français déclarent avoir de bonnes relations avec leurs élèves, un pourcentage conforme à la moyenne des 48 pays de Talis. Mais 27% des principaux signalent des actes d’intimidation ou de harcèlement dans leur établissement, soit le double de la moyenne OCDE. Ce pourcentage a nettement augmenté depuis 2013. Du côté des enseignants, 71% déclarent devoir fréquemment calmer des élèves contre 65% pour la moyenne OCDE. En moyenne, les professeurs passent 17% du temps des cours à gérer la discipline de la classe, ce qui est au dessus de la moyenne de l’OCDE (13%). Seulement 5 pays passent plus de temps à rétablir l’ordre en classe que la France parmi la quarantaine de pays qui ont répondu à cette question. (à lire ici)

Le ressenti des enseignants français s’est dégradé de façon significative : ils sont 10% de moins qu’en 2013 à déclarer faire respecter les règles de la classe, et 20% de moins à se sentir compétents en la matière. En cinq ans, la dégradation est effectivement notablement préoccupante. La France a donc un problème de climat scolaire. Le manque de mixité des établissements y participe, et reflète en cela le manque de mixité dans toute notre société. Et là, il va falloir un changement ébouriffant pour y remédier… Comme l’écrit François Jarraudle climat scolaire a aussi à voir avec la façon dont la société organise son école. Mais elle organise son école comme elle se vit elle-même au-delà de l’école.

J’en reviens à la “gestion de classe”. Les médias se sont jetés sur ce thème en pointant du doigt les enseignants, suivant un rapport totalement stéréotypé au portait robot du “mauvais élève”. Facile et défoulant.

A mon sens, on est en fait à côté de la plaque. La “gestion de classe” est une fausse problématique telle qu’elle est abordée. D’abord, elle consiste à supposer que pour enseigner il faut un public bien sage comme il faut, que c’est un pré-requis aux apprentissages. C’est réfléchir à l’envers que d’envisager les choses ainsi : les élèves ne peuvent être attentifs que s’ils ont envie d’apprendre, s’ils y voient un intérêt. On se ramène donc à nouveau à un problème de société au sens large d’une part (l’école : pourquoi ? Les profs sont-ils des clowns, des planqués ou des personnes utiles? Etc.), mais aussi à une diffusion d’un cliché tout à fait périmé. Ensuite, la “gestion de classe” n’a pas de sens, selon moi, déconnectée de nos disciplines. Dans la classe, chercher à établir le calme ou l’ordre puis se consacrer aux apprentissages est vain. C’est différent du point précédent, qui se rattache à l’appétence et la motivation. Pour qu’une classe fonctionne, je pense qu’il faut entrer par le disciplinaire. Je ne nie pas l’existence du pédagogique, mais je pense qu’il est fermement rattaché au didactique. Enfin, si l’on envisage la “gestion de classe” sous un angle plus général qu’est le climat scolaire, la question dépasse largement la classe et concerne au moins tout l’établissement. C’est rarement le problème d’un enseignant, et presque toujours celui d’un collectif. C’est tout le climat scolaire qui rejaillit dans la classe, avec toutes ses composantes.

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Le terme même de “gestion” de classe m’embête. Il renvoie à un face à face potentiellement conflictuel. Nous ne “gérons” pas nos élèves, nous faisons un bout de chemin avec eux en essayant de les faire grandir et de les préparer au mieux à prendre leur place dans la société, individuellement et collectivement. Ce n’est pas de la “gestion”, c’est bien plus humain et subtil que cela. Ce qui ne signifie pas que c’est facile. C’est bigrement difficile et cela ne dépend pas que de nous, enseignants.

J’espère que nous n’allons pas voir fleurir des formations “gestion de classe” théoriques et généralistes. Il y a certes des messages à diffuser, mais ils le sont déjà dans les ESPE et en formation continue. Ce sont des messages de bon sens : temporiser, expliquer, être régulier, suivre un cadre éthique stable et justifié, laisser à l’individu la possibilité de trouver son équilibre, ne pas humilier… Pour le reste, les catalogues d’incidents avec réponse formatée ou les lamentations collectives, même si elles peuvent constituer un exutoire, ne nous mèneront pas loin. La solution ou les solutions ne peuvent qu’être qu’hyper individuelles avec un accompagnement personnalisé respectueux des enseignants en difficulté en la matière (car être en difficulté n’est pas être incompétent et le principe d’éducablité s’applique aussi à nous), et surtout collectives, de l’établissement à toute la société.

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