Sur Slate, Thomas Messias, professeur de mathématiques, a écrit sa fatigue et ce qui l’amène à baisser les bras sur une partie de sa fonction. Son article est clair et juste, et j’espère qu’il amènera nos cadres à s’interroger : notre métier est en danger. Que des collègues investis et tournés vers la réussite des élèves se découragent n’est pas plus acceptable que le décrochage de nos élèves.
Thomas Messias est prof de maths, mais aussi journaliste freelance. En 2015, il a publié un essai, Le Nouveau Cinéma argentin, aux éditions Playlist Society. Je ne le connaissais pas, mais je le lirai dorénavant, d’autant que j’ai vu beaucoup de titres “féministes” que je suis curieuse d’explorer.
Il décrit son découragement à endosser le rôle de professeur principal.
Tenter de leur offrir un suivi plus personnalisé, essayer d’influer positivement sur la dynamique de la classe, travailler ensemble sur leurs droits et devoirs, tout cela me semblait important et potentiellement passionnant.
Je savais que ce statut de prof principal ne serait pas de tout repos. Il allait falloir suivre les résultats des élèves, rester aux aguets face aux éventuelles baisses de moral ou de motivation, prendre des rendez-vous (une fois, deux fois, dix fois) avec certains parents pour parler discipline, orientation ou bien-être en milieu scolaire.
Plusieurs fois, Thomas Messias a envie de ne plus se proposer comme professeur principal. Mais il est tenace :
Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que j’ai aussi réalisé ce qu’un travail de prof principal correctement mené pouvait apporter aux élèves: du cadrage, de la confiance, le sentiment de venir au lycée pour de bonnes raisons et pas juste parce que la scolarité est obligatoire.
Pour Thomas Messias, l’arrivée de Jean-Michel Blanquer change beaucoup de choses :
- A force de nous faire vivre réforme sur réforme, ajustement sur ajustement, les enseignants se perdent :
Les informations nous sont parvenues au compte-gouttes, et que je n’ai jamais autant répondu «je ne sais pas» que cette année.
- Thomas Messias fait partie des (nombreux) enseignants qui sont dubitatifs (le mot est faible) devant la réforme du lycée, quant aux plus-values pour les élèves.
- Il regrette aussi les conséquences du déploiement de la réforme, en établissement : “guéguerres internes”, “pressions”, “lobbying”, j’imagine bien l’ambiance. Pour avoir entendu beaucoup de collègues en discuter, ce sentiments est largement partagé sur le territoire.
Alors Thomas Messias renonce, et culpabilise. Alors il rationalise, pour rendre tout ça acceptable :
J’ai déjà passé plus de temps que nécessaire à écoper et qu’il est vraiment temps que je pense un tout petit peu à ma santé physique et mentale. L’an prochain, je serai juste un prof de maths, et puis c’est marre.
Je dois dire que je comprends son sentiment. Parfois moi aussi, je me demande si je ne vais pas raccrocher telle ou telle composante de mon activité professionnelle. Trop souvent il faut tellement se battre, pour que des dispositifs efficaces ne disparaissent pas dans une pure logique comptable, pour être payés du travail fait (dans quelle entreprise attend-on plus d’un an des remboursements ?), pour constituer des dossiers administratifs totalement ubuesques, pour être pris en compte en tant qu’individu, que personne, et pas uniquement comme outil de travail. Nous donnons tant de nous, et parfois il y a si peu d’humanité dans cette gigantesque machine. Tant que nous restons dans un niveau où de vraies relations humaines existent, tout va bien. Mais il y a un autre niveau, un niveau digne de films futuristes déprimants. Et ce niveau-là donne envie de le fuir.
[…] Site du blog – Intégralité de l’article […]
Etre pris en compte en tant qu’individu et pas uniquement comme outil de travail…je crois que c’est cela qui fait le plus mal…de ne pas l’être, trop souvent…heureusement parfois il y a de petites lueurs d’espoir…amitiés chez toi…