Quel beaux contenus l’APMEP nous a proposés, pour ce séminaire 2021 ! Denses, enrichissants, et assortis d’échanges robustes… Et pour finir la journée, voici Michèle Artigue !
Sur les 20 dernières années, l’accumulation de réformes dans l’enseignement des mathématiques est frappante et donne à s’interroger. En prenant un peu de recul, l’impression d’un travail portant bien davantage sur le quoi et le comment plutôt que sur la pourquoi de l’enseignement des mathématiques s’impose.
La question du pourquoi
Alors pourquoi enseigner les mathématiques ? Michèle Artigue a expliqué qu’elle ne s’est véritablement posé la question qu’au moment de la commission Kahane. La question du pourquoi permet de se poser la question du quoi, et ensuite la question du comment, même si les trois axes ont aussi une dimension dialectique. Jean-Pierre Kahane disait “Il faut enseigner les mathématiques parce qu’elles sont belles et utiles”. Il ne souhaitait pas faire d’opposition entre l’activité gratuite et l’activité utile : la première utilité pour lui était que les mathématiques” concourent à la formation de l’esprit, forcent à expliciter les évidences, elles sont la logique cartésienne en action. Elles articulent mémoire et raisonnement, imagination et rigueur”. Les mathématiques ont une force d’économie de pensée. La force de la raison en action est plus forte que tous les arguments d’autorité et doit nous permettre de lutter contre l’obscurantisme. L’élève peut en faire l’expérience très tôt. C’est une des forces des mathématiques et une des raisons de l’enseigner, même si les maths ne sont pas forcément mises au service de la démocratie, ni même de la démocratie scolaire, dans la réalité. Il opposait cette utilité à l’utilitarisme, qui consiste à renoncer à l’universalité des mathématiques, à les diviser selon la nature actuelle de leurs applications, sans souci des interactions. Kahane insistait sur la vision à long terme : un individu ne pouvant pas tout apprendre, il faut faire des choix.
Ces raisons invoquées pour répondre à la question du pourquoi datent d’il y a vingt ans, mais semblent rester valides.

Mais en vingt ans, le monde a aussi profondément changé, et avec lui des besoins scientifiques, sociaux et humains. Et l’enseignement des mathématiques doit aussi leur répondre. Il y a vingt ans, sans doute n’aurait-on pas écrit ceci :

la question du quoi
Les équilibres entre contenus et compétences constituent un questionnement important. l’articulation entre compétences et contenus est difficile.

C’est intéressant d’étudier ces huit compétences, et de les mettre en perspective avec les compétences curriculaires françaises. Ce projet n’avait pas comme objectif de faire de nouveaux programmes. Mais ce qui s’est passé ensuite a été très différent de ce qu’on aurait pu prévoir : l’articulation avec les compétences n’a pas été faite et les modes d’évaluation ont été très peu modifiés. Il n’était pas question de mettre en place des actions spécifiques de formation en direction des enseignants. Tout ce travail aurait donc pu disparaître, puisqu’il semblait ne rien pouvoir changer. Mais finalement il y a eu une évolution à plus long terme : la notion de compétences a pénétré la formation au fil du temps, avec l’aide de PISA. Une évolution a aussi eu lieu sur la collaboration, la créativité, l’esprit critique, la citoyenneté voire la résilience.
Michèle Artigue a développé au sujet du problème non résolu de l’évaluation, qui concerne même PISA, d’une façon tranquillement iconoclaste. Cela m’a bien parlé, pour ma part…
Un autre point prégnant dans la question du quoi est celui de l’aléatoire et de sa place croissante et de plus en plus précoce dans les programmes. Dans la réforme du lycée en 2000 faisait la place à la statistique, au-delà des seules statistiques descriptives. Trouver des équilibres satisfaisants pour cette enseignement a demandé beaucoup de travail de formation et de communication. L’aléatoire ne peut pas rester une dimension marginale de l’éducation mathématique du citoyen. Or il faut du temps pour développer les formes de pensées liées à l’aléatoire, si on décolle des bases et qu’on explore les modes de pensées plus profonds qui sont propres à l’aléatoire.

La place accordée à la modélisation est également une tendance lourde. On a toujours du mal à faire vivre de réelles activités de modélisation dans les classes, hors dispositifs spécifiques coûteux, et là encore à trouver des modalités d’évaluation.
L’algorithmique, la programmation et la pensée computationnelle ont percé, ces vingt dernières années, liées à la volonté de sortir d’une seule relation d’outils aux technologies numériques. La relation mathématique-informatique reste privilégiée, ce qui implique un impact particulier sur les mathématiques, même s’il y a une évolution de ce côté (par exemple avec le nouveau capes d’informatique).
La question du comment
C’est une question difficile, sur laquelle nous avons modérément avancé. Les convictions sont partagées :

L’apprentissage est un processus fondamentalement social. Aujourd’hui, cette dimension sociale de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématique est plus que jamais tangible. Mais il y a aussi l’idée que, si sous certaines conditions il est possible pour les élèves de redécouvrir de façon autonome les mathématiques, le rôle de l’enseignant est absolument indispensable. Il n’y a pas de voie royale à l’enseignement des mathématiques, il n’y a pas de réponse unique à la question du comment. Sans doute dans l’enseignement, il faut combiner différentes pratiques pour être réellement efficace.
Qu’est-ce que ça fait du bien d’entendre ça, de sortir des débats de chapelles et des étiquettes qu’on vous colle sur le front sans même vous demander votre avis !
Michèle Artigue a évoqué ses projets, en lien avec la nouvelle visibilité des mathématiques dans notre environnement et au fil de l’actualité.

Mais l’actualité, avec la pandémie, a mis l’accent sur les inégalités, alors qu’en France elles sont déjà terribles. La diversité des facettes de ces inégalités a été mis en lumière, bien au-delà de l’accès au numérique. La dimension psychologique et émotionnelle qui est en jeu pour pouvoir entrer dans une disposition d’apprentissage est considérable, et y sommes-nous assez sensibles finalement ? En France par exemple, nous avons particulièrement peu de mots pour qualifier le climat de la classe, contrairement à d’autres pays, comme la Finlande. Mais il y a aussi de belles choses, qui donnent un message d’espoir pour le futur :

La grande culture, particulièrement dans les projets et systèmes éducatifs internationaux, et le ton de Michèle Artigue, donnent une puissance assez fantastique à son propos.
[…] Hier, c’était le séminaire 2021 de l’APMEP. J’ai raconté ici l’appel à réflexion collective sur l’enseignement des mathématiques, ici la conférence de Caroline Ehrhardt et Renaud d’Enfert, là l’intervention de Gilles Dowek et là la conférence de Michèle Artigue. […]