L’accompagnement des troubles du comportement chez les adolescents, par Aymeric de Fleurian

Ce matin, je suis en visio cette conférence :

Monsieur de Fleurian a travaillé en ITEP, et est directeur médical d’un CMPP, entre autres. Son intervention a pour objectif de nous permettre de changer de représentation sur les enfants et les adolescents qui ont des troubles du comportement. C’est un sujet délicat : la réalité de l’accompagnement de ces jeunes nécessite beaucoup de moyens et de disponibilité, et cela fait défaut aux enseignants qui s’adressent à des classes chargées. Monsieur de Fleurian se place dans une perspective développementale.

Le point de départ, c’est de comprendre comment un individu, quel que soit son âge, s’est construit. Chaque ado, chaque enfant est différent, mais des points communs des comportements donnent des repères pour comprendre.

Aymeric de Fleurian n’aime pas le terme « trouble du comportement », ni les étiquettes qui définissent le type de troubles, même si c’est aussi nécessaire. Mais il trouve que cela ne dit pas toujours bien la réalité de la personne. Les êtres humains ont cette particularité d’être animé par des états mentaux qui influent sur leurs comportements. C’est pourquoi c’est sur ces états mentaux sous-jacents qu’il faut travailler, et non seulement et directement sur les comportements. De plus, on ne peut pas amener du changement durable sur les comportements par la contrainte. Il faut que la personne investisse le changement pour lui-même.

La confiance épistémique

L’humain produit des interactions sociales complexes qui l’ont rendu espèce dominante. Cela a permis par exemple l’émergence d’éléments cuturels qui se transmettent de génération en génération et permettent d’organiser les sociétés humaines. Le cadre culturel est opaque.

La confiance épistémique, dans une perspective évolutionniste, est l’idée que quand on entre en interaction avec quelqu’un, on attribue de la validité à ce qu’il fait. C’est à différencier de la confiance tout court. C’est un outil psychique qui nous aide à attribuer de la validité au discours de l’autre. C’est la première étape pour intégrer quelque chose de ce discours. On ne peut pas être en permanence dans un état de confiance épistémique : il faut qu’on puisse faire un tri. Notre état naturel est la vigilance épistémique, et cette vigilance va pouvoir se relâcher pour passer de la vigilance épistémique à la confiance épistémique. Pour qu’un apprentissage puisse avoir lieu, il faut de la confiance épistémique ; la vigilance épistémique ne suffit pas pour apprendre.

Une première étape pour passer de l’un à l’autre est liée à la question du statut. Des représentations personnelles jouent : si un élève a déjà rencontré des enseignants qui ont donné des représentations négatives et cela diminue la confiance épistémique, par exemple. Ces expériences passées sont très importantes, car elles peuvent faciliter ou compliquer le relâchement.

Tous les apprentissages sociaux d’un enfant se font au travers de la confiance épistémique. Des mode d’interaction, sélectionnés par l’évolution, favorisent le relâchement épistémique dans la relation adulte-enfant. Le petit humain naît particulièrement vulnérable, fragile, avec une multitude d’apprentissages à faire pour pouvoir devenir opérant dans la société. En général, ça fonctionne, mais il peut y avoir des paramètres qui dérèglent cet apprentissage. Par exemple la prosodie particulière qui fait que les adultes parlent au bébé avec un ton particulier permet le relâchement et favorise la transmission de l’information vers le bébé. De même, quand on porte un bébé face à nous, quand on le regarde dans les yeux, quand on interagit en formulant l’appartenance à un même groupe, favorise ce relâchement. Pour que la confiance épistémique puisse s’instaurer, il faut qu’on ne représente pas un danger pour l’autre. La façon dont on utilise ses mains est très important : les mains représentent un danger, a priori. Avoir les poings fermés ou les mains ouvertes produit un effet très différent. La manière dont on communique donne envie d’écouter ou pas.

La modulation psychique

La modulation psychique est la manière dont on peut modifier et mobiliser les états mentaux qu’on peut avoir. Notre vie psychique est faite d’une multitude d’états mentaux plus ou moins agréables et fonctionnels, et nous passons notre temps à les moduler pour fonctionner au mieux dans notre environnement. Le développement d’un individu se fait tout au long de sa vie. On se transforme en permanence. Quand on change l’individu d’environnement, on peut se trouver en difficulté, forcément : en demandant un changement, on remet en cause le développement psychique là où il en était. Générer du changement dans le fonctionnement comportemental demande du temps. Le développement psychique est corrélé au développement neuro-comportemental. On sait aujourd’hui avec certitude que ces deux développements sont relationnels et expérienciels. La génétique donne des potentialités qui s’exprimeront peut-être. Un enfant, puis un adolescent, ne sait faire que ce qu’il a appris, dans la relation à un autre, dans une expérience. Cela se fait sur la répétition multiple et dans de nombreuses instances d’une situation à peu près similaire. Suivant les expériences, notamment sur le plan social, on ne peut pas attendre chez un individus certains comportements, et nous avons parfois des attentes qui sont en fait irréalistes. Si on confronte des attentes irréalistes à un individu, on produit des états mentaux négatifs.

La modulation psychique est indispensable. On a des ressources internes, pour réguler, qui sont des ressources personnelles de l’individu, et des ressources externes, en s’appuyant sur l’autre. C’est particulièrement vrai quand on est un enfant. L’enfant internalise la capacité de réguler ses états mentaux parce qu’il voit, de façon répétée, comment les parents et les adultes l’aident à réguler. Il va apprendre à la faire par lui-même.

Pour pouvoir bénéficier du psychisme de l’autre, il faut être dans un état de confiance épistémique. La modulation psychique exige qu’on puisse prendre de l’autre. Les enfants ou les ado qui restent en vigilance épistémique se privent de ressources car ils ne parviennent pas à accepter d’être régulés par un autre. Si je suis en incapacité d’être régulé par un autre, jamais je n’apprends à me réguler par moi-même. Souvent les individus qui ont des troubles du comportement ne peuvent pas le faire.

L’attachement

Le système d’attachement n’a pas à voir avec l’attachement qu’on a à quelqu’un. Le système d’attachement fait partie d’un ensemble de systèmes psychologiques que nous avons tous de manière innée. Il rentre dans un cadre plus global de système de la sécurité. Il est en interaction directe de façon antagoniste avec le système exploratoire.

Le système d’attachement a pour fonction de réguler nos états de détresse. Le système exploratoire a pour fonction d’explorer et donc d’apprendre sur nos environnements. Ils sont antagonistes car en détresse on n’explore pas, on cherche à récupérer.

L’état de détresse est désagréable. Il nécessite de trouver des solutions. Le petit humain ne peut pas le faire par lui-même ; donc l’évolution a sélectionné des comportements particuliers qui visent à sélectionner le « donneur de soins » qui va aider à réguler l’état de détresse. Par exemple le bébé pleure, et le donneur de soins va vers le bébé pour essayer de résoudre son problème. Le bébé récupère et intègre des représentations sur l’adulte : quand je pleure, l’adulte vient me voir, j’ai de l’importance pour lui et ses interventions m’aident à être mieux, je peux compter sur lui pour me sentir mieux. C’est la répétition de ces interventions qui vont aider à outiller l’enfant, à donner du sens au monde qui l’entourent, à l’interpréter, à lui donner du sens. On a beau être au même endroit et vivre la même chose, nous nous construisons des filtres qui nous donnent une interprétation du monde.

Il y a trois schémas d’attachement classiques : sécures, insécures et désorganisés. Les sécures apportent des réponses aux situations de détresse. Les insécures peuvent être évitants ou anxieux/ambivalents, et se construisent dans des situations dans lesquelles les réponses sont stables et cohérentes, mais pas forcément adaptées par l’enfant, comme si on envoie balader un enfant qui s’est fait mal. Dans ce cas l’enfant ne peut pas trouver une réponse sécurisante et va éviter de mobiliser un attachement. Il ne va pas chercher d’aide. Souvent les enfants qui ont des troubles du comportement sont dans ce cas. Dans le cas d’ambivalence, n a des enfants tout le temps anxieux, comme pour beaucoup d’enfants en phobie scolaire, qui n’ont pas de ressources pour s’apaiser. Dans le cas des schémas désorganisés, il n’y a pas de cohérence ou de structuration, comme dans des situations de maltraitance, en particulier quand le donneur de soin est à l’origine de la maltraitance. Quand ces enfants vont être agressifs, ils peuvent être en fait d’exprimer un état de détresse. C’est contre intuitif, car chez des jeunes qui se sont construits dans des environnement pas très normés la réponse n’est pas intuitive dans nos manières à nous de penser. Cela fait boule de neige et se passe mal.

Les capacités de mentalisation

La mentalisation est un concept assez vastes : l’être humain est animé en permanence d’états mentaux qui vont amener ses perceptions des états mentaux et faire du lien avec les comportements. C’est fondamental pour agir socialement. L’enfant ne peut mentaliser que si on l’a aidé à mentaliser et que les adultes ont eux-mêmes exprimé leurs états mentaux. Dans certains contextes familiaux, les états mentaux ne sont pas au centre des préoccupations des adultes et cela n’aide pas l’enfant.

La mentalisation peut être automatique (ou implicite), ou bien volontaire (ou explicite). Ce ne sont pas les mêmes circuits cérébraux qui sont impliqués dans les deux cas. Quand un enfant pleure, le prendre dans ses bras naturellement est automatique, sans intellectualisation, et implicite car il n’y a pas accès à la conscience. Lorsqu’on formule des hypothèses à ce qui se passe dans la relation, on est du côté explicite, et cela nous aide à donner du sens à ce qui se passe. Avoir une mentalisation riche et diversifiée permet de moduler ses états mentaux, et aussi de s’adapter socialement, ce qui est une des grandes difficultés des enfants à troubles du comportement.

On peut mentaliser sur le plan affectif ou cognitif. Le coté affectif est plus archaïque et touche beaucoup à cette perception assez instantanée des étants mentaux des autres, sans avoir à réfléchir beaucoup. Cela passe par la reconnaissance des mimiques spatiales, l’interprétation des postures. Le côté cognitif c’est quand on réfléchit à ce qui se passe dans notre tête ou dans la tête de l’autre.

La mentalisation interne porte sur les intuitions, les désirs, du sensoriel, tout ce qui est à l’intérieur. Quand cela porte sur autrui, on est dans l’imagination, forcément, et on n’a jamais de certitude. Quand on affirme l’intentionnalité d’un enfant à troubles du comportement, on est souvent à côté à cause de cette dimension d’imagination. La mentalisation externe est sur la posture, la prosodie, les mimiques faciales, etc.

La mentalisation de soi ou d’autrui est très variable chez les individus.

Les capacité de mentalisation ne sont pas stables dans le temps.

La mentalisation touche aux fonctions supérieures du cerveau, en général. Et nos fonctions supérieures évoluent en fonction de nos états émotionnels. La courbe ci-dessous montre qu’être activé émotionnellement est d’abord positif, mais si c’est trop intense on devient incapable de mobiliser des ressources complexes sur le plan de la mentalisation. Quelqu’un de déprimé mentalise peu et a des troubles cognitifs, avec des difficultés à penser et des hypothèses erronées d’interprétation de l’environnement.

Quand on approche le maximum dans la partie croissante de la courbe, on est dans un état de stress, qui met en tension mais permet de se focaliser et de mobiliser toutes nos ressources. C’est ce qu’on appelle le « bon stress ». Mais si on dépasse ce stress, cela devient vite problématique. Soit on vit un état de danger imminent, soit on vit un état de stress chronique, et tout un tas de phénomènes se produisent dans le corps, avant même qu’on ait conscience qu’il faut s’adapter. On perçoit des transformations de l’état corporel, on l’associe à un concept émotionnel qu’on a appris dans l’enfance (ou pas) et on peut l’associer à quelque chose qui l’aurait provoqué. Quand on augmente l’état émotionnel, on arrête de mentaliser. L’adrénaline, potentiellement toxique sur le plan cardiaque, et le cortisol, qui a une neurotoxicité, amènent à une espèce de shut-down et on passe en mode automatique : on fuit, on se fige ou on combat. On ne pense plus intellectuellement, mais on pense à sa sécurité.

La résilience et la salutogénèse

La résilience st la capacité de l’individu, a posteriori de l’événement, de lui réattribuer une valeur qui permet de le rendre acceptable psychiquement. C’est important pour ne pas resté ancré dans un épisode traumatique. On n’est résilient que si on a appris à l’être. C’est lié à la mentalisation, à la confiance épistémique, et cela permet de faire preuve de la salutogénèse, qui permet de modifier sa manière de se confronter au monde pour adopter des comportements qui nous sont favorables. Sinon, on a des comportements discutables et que les autres ne comprennent pas.

Les enfants qui ont des troubles de comportement se sont éloignés de la norme sociale. Ils expriment leur manière d’être usuelle en fonction de ce qu’is ont appris. Ils vont se construire des représentations des autres et du monde assez peu congruentes avec la réalisation de ce que sont les personnes qui interagissent avec eux. Ils interprètent le monde très très différemment de nous, avec des filtres presque antagonistes. Nous allons donner du sens d’une façon qui n’est pas congruente avec ce qui se passe dans leur tête. Alors on essaie une intervention face à une situation problématique, avec une bonne intention, et cela jette de l’huile sur le feu et est contreproductif : ni notre interprétation ni notre façon d’intervenir n’est adapté.

Dans un état de stress intense, on a besoin d’être rassuré. Quand on a un jeune qui est en classe dans un état de détresse, il est en quasi impossibilité de relâcher sa vigilance émotionnel. Nous devons donc être très attentifs aux hypothèses que nous formulons, d’autant que nous aussi pouvons nous sentir agressés et nous mentalisons donc moins aussi, ce qui nous amène à moins diversifier les hypothèses de ce qui se passe chez l’autre, qui devient lui-même un agresseur, ne fait plus partie du même groupe, et c’est un effet boule de neige. C’est compliqué ! Quand on ne peut pas décortiquer ce qui s’est passé pendant 5 minutes de la vie d’un enfant ou d’un adolescent, comme un psychiatre peut le faire pendant un temps long, il faut essayer d’être adaptable. Pourtant nous attendons en général que l’enfant s’adapte lui, alors qu’il attend qu’on soit là pour lui et qu’on le rassure. Il est nécessaire de pouvoir formuler d’autres interprétations que « il est en train de m’agresser ».

Des pistes pour nous

  • Partir du principe qu’on ne sait pas ce qui se passe dans la tête de l’autre ;
  • Être dans une posture exploratoire, inviter l’autre à exprimer ce qui se passe pour nous-mêmes pouvoir comprendre ;
  • Se préparer à accepter des choses qui sont très éloignées de notre façon de fonctionner ;
  • Différencier état mental et comportement, valider l’état mental (qui n’est pas discutable) mais expliquer que le comportement n’est pas adapté, voire inapproprié, et qu’il faut trouver une autre solution ;
  • Assumer notre responsabilité émotionnelle.

Rassurer, se réaccorder et raisonner : il faut que nous respections cet ordre. On ne peut pas demander à l’individu de raisonner sans avoir passé les étapes précédentes car l’état mental n’est sinon pas compatible avec le fait de raisonner. L’accordage relationnel c’est quand on est connecté, en relation. Cela permet d’arriver à la possibilité de raisonnement.

Le stress est l’élément clef. Les jeunes à troubles du comportement devraient être confrontés à des stress anticipables, raisonnables et modérés, à l’opposé des interro surprises ou une sollicitation orale dans une matière dans laquelle ils ne sont pas compétents. L’école est un monde social normé qui leur est étranger. Ils vont mal, donc ils sont rigides. Nous, nous sommes censés aller bien et être adaptables, pour pouvoir les aider.

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