Quand Charivari pose une question, on peut s’attendre à réfléchir. Hé bien voilà, ça n’a pas loupé :
Cette question renvoie à la classique problématique de l’emboîtement des catégories de figures, mais plus encore à la notion d’attendus et à l’interrogation fondamentale : à quoi sert ce que nous enseignons ?
Un carré est un rectangle particulier. En effet, un rectangle est un quadrilatère à trois angles droits. Vous pouvez en exiger quatre si cela vous chante, mais trois sont suffisants. Quatre, c’est une perte de temps : si je m’appuie sur cette « définition », je perds du temps à vérifier un angle pour lequel pourtant la vérification est inutile. Un carré est un quadrilatère et il a trois angles droits, il est donc un rectangle. Un rectangle particulier, car il est régulier (ses côtés sont tous de même mesure), mais il est tout à fait un rectangle quand même. Ce n’est pas tellement plus compliqué que de comprendre que madame Legrand est un élément de la famille Legrand, mais un élément particulier : c’est un élément qui en plus s’appelle Clémentine.
Alors la réponse qui consiste à dire qu’il ne faut pas enseigner ça, je ne suis pas d’accord : comprendre ce qu’est une caractéristique, une condition nécessaire, une condition suffisante, un cas général ou un cas particulier est justement pile-poil un exemple de ce à quoi peuvent servir les maths. C’est hyper transposable à notre quotidien et aux raisonnements nécessaires pour le comprendre et prendre des décisions éclairées.
D’ailleurs, pour expliquer pourquoi un carré est effectivement un rectangle, nous sommes passés par un détour intéressant : celui du rectangle et du nombre nécessaire et suffisant d’angles droits. Ca aussi c’est un bon exemple de l’utilité d’apprendre à raisonner au travers de l’exercice des mathématiques, qui emmène vers ce que j’ai écrit au-dessus à nouveau. Tout cela est au coeur des capacités à évier de foncer dans des fake-news, en particulier.
Ainsi, même si en soi savoir qu’un carré est un rectangle n’est peut-être pas fondamental, savoir y penser, le penser, l’articuler, le justifier est fondamental. Mais pour cela il faut que la logique de tout ceci soit installée au départ : si je commence à vous montrer des bidulbuks en vous disant ” ça, voyez-vous, ce sont des bidulbuks. Et ça, là bas, ce sont des badaboks. Alors on y va : ça, bidulbuk ou badabok ? “, forcément vous allez construire deux catégories étanches, les bidulbuks et les badaboks. Je peux toujours, des années après, venir vous voir en vous disant : “bon, maintenant que tu as un peu vieilli, regarde autrement : tu vois, les bidulbuks, en fait ce sont des badaboks particuliers. Ok ? Allez, maintenant tuas compris”, hé bien non, vous aurez juste l’impression qu’on vous raconte n’importe quoi, qu’on change d’avis en route ou vous sous sentirez perdus.
Je maintiens donc que cet enseignement doit commencer le plus tôt possible. En CP c’est possible car on peut évoquer l’angle droit, sans forcément le nommer (mais ça aussi on peut) : par superposition, on peut mettre en évidence que les rectangles sont tous pareils dans les coins, comme les carrés, mais pas comme les triangles non rectangle, par exemple. On peut se garder un petit bloc logique de rectangle sous la main comme gabarit d’angle-droit-qu’on-n’a-pas-nommé. Et comme en fait on enseigne là avant tout de la réflexion, de la logique, du raisonnement, des éléments de démonstration, mieux vaut commencer tôt, pour construire un ensemble cohérent, qui ne prenne personne à revers, et en ayant tout le temps devant nous.
Alors nous voilà devant une nouvelle question : comment poser des attendus ?
Je n’en sais rien. Et il n’y a aucune raison que j’aie un avis plus sûr que des spécialistes des apprentissages et de la didactique des mathématiques sur la questions. J’ai juste des éléments, qui me viennent :
- On pourrait définir comme attendus à un certain niveau de classe des savoirs ou des compétences nécessaires dans la vie courante. Dans ce cas, il n’y a pas le feu, avec le carré-qui-est-un-rectangle : côté savoir, dans la vie de tous les jours, ce n’est pas hyper prégnant, comme nécessité. Côté compétence, ça l’est plus, mais chacun peut y accéder à son rythme. Comme toutes les compétences, c’est un chemin complexe qui mène à la maîtriser. Ce n’est pas en rabâchant qu’on va y arriver, mais en y revenant, en illustrant, en exemplifiant et en contre-exemplifiant, patiemment. On ne s’adresse pas à la mémoire, mais à la réflexion de l’individu.
- On pourrait aussi définir comme attendu à un certain niveau de classe des savoirs ou des compétences nécessaires pour évoluer tranquillou dans la classe suivante. Et là, il n’y a pas le super-feu non plus : c’est en cycle 4 qu’on va vraiment s’engager de plain pied dans la démonstration, l’hypothético-déductif assumé. On pourrait donc envisager d’attendre jusque-là. Cependant, comme nous le préparons en sixième, je pense en effet préférable de se fixer une échéance un peu plus tôt. On peut dire CM2, ou même sixième.
Et de toute façon, nous savons très bien que nombre de nos élèves n’auront pas compris à leur arrivée en cycle 4. Ce n’est pas très grave s’ils ont déjà été familiers de discours cohérents et qui n’entrainent pas de contradiction. Nous allons continuer, pour celles et ceux qui en ont besoin à expliquer, avec encore plus d’outils à disposition puisqu’ils avancent en âge et en scolarité. Il demeure que quel que soit le moment défini pour poser le carré-qui-est-un-rectangle en attendu, je pense inévitable de l’enseigner ainsi dès le début. Sinon on pose un obstacle vraiment robuste pour la suite des apprentissages les élèves.
En tout cas, une nouvelle fois, merci Charivari !
Note importante : c’est un peu n’importe quoi, l’exemple des bidulbuks et des badaboks : les badaboks sont des créatures, et les bidulbuks sont tout un bazar désigné par les badaboks. Il fallait que je précise, par honnêteté intellectuelle.

Alerte coquillette : “Et il n’y a aucune raison que j’aiE un avis ” (subjonctif). Supprime mon com aussitôt, je ne serai pas vexée ! Bon, je remonte lire la suite.
Merci ! J’aime les coquillettes, mais pas celle-là ! 😉
Super article. Merci !! Je te suis sur toute la ligne. 😘
Bonjour Claire,
je ne suis toujours pas certain de la réponse la plus précise que l’on puisse apporter à cette excellente question de Charivari. En revanche, cela me désole que le nom de Van Hiele (qui est un incontournable absolu sur cette problématique – et qui est toujours à peu près royalement ignoré par la communauté didacticienne de France pour des raisons qui m’échappent en partie, fin de la parenthèse…) n’apparaisse pas dans les échanges sur twitter.
Je ne peux que fortement suggérer de lire Van Hiele dans le texte, ou alors Braconne-Michoux qui a fait tout son possible pour diffuser cela dans la sphère francophone (puis, quitte à vouloir approfondir, enchainer sur ceux de Parzysz&Jore).
Bonjour,
Encore un article intéressant qui nous amène à réfléchir sur les “bonnes” définitions et nous porte vers d’autres questions…
Peut-être que définir le carré comme étant un losange et un rectangle permettrait aux élèves de mieux comprendre les inclusions ?
Donner un ensemble de dessins, comme celui présenté dans l’article, et demander aux élèves d’entourer les dessins présentant certaines caractéristiques pour ensuite définir tous les éléments ainsi entourés permettrait aussi aux élèves de mieux visualiser et d’intégrer ces inclusions.
Ils pourraient ainsi constater que certains “ensembles” sont inclus les uns dans les autres.
Cela me semble une situation très riche qui permet de classer les figures ayant trois côtés, celles ayant quatre côtés, celles possédant des angles droits, celles possédant des côtés de même longueur et de donner au fur et de donner à l’issue la terminologie, triangles, quadrilatères, rectangles, isocèles, etc.
D’ailleurs, à ce propos, voyez-vous le triangle comme un cas dégénéré de quadrilatère ou voyez-vous ces deux objets comme séparés dans deux ensembles isolés ?
La formule de Héron est-elle vu comme un cas particulier de la formule de Bramagupta ?
Ou s’agit-il de deux formules séparées ?
Le quadrilatère de Varignon est-il encore vrai pour un triangle ?
Mais je crois que je sors quelque peu du débat originel…
Avec des questions intéressantes… Merci !