Un article du Monde du 21 mai 2023 s’intitule :
Voilà qui va sans doute faire causer. A juste titre, d’ailleurs, à condition que le débat soit un débat argumenté et étayé, et pas une rixe de ressentis.
Le 15 mai, la ministre des écoles, Lotta Edholm, a réagi en enterrant la stratégie de l’agence nationale de l’enseignement scolaire (Skolverket), en faveur de la poursuite du numérique, présentée en décembre 2022.
Source
La ministre avait déjà fait part de ses réserves par le passé, quant à l’usage du numérique : elle regrettait « l’attitude dépourvue d’esprit critique qui considérait, avec désinvolture, la numérisation comme bonne, quel que soit son contenu ». Elle déplorait le fait que l’usage des manuels tombe en désuétude, de ce fait. Selon la ministre, l’abandon des manuels a par exemple comme conséquence que les parents ne peuvent plus aider leurs enfants comme auparavant, à la maison. Je ne comprends pas trop, parce qu’il y a la trace de leçon et les activités d’entraînement sur feuille, mais bon.
Pourtant, l’article explique que la Suède ne dispose d’aucune étude chiffrée sur le temps d’écran des jeunes à l’école. Mais, dans une enquête de décembre 2022, 20% des enseignants interrogés déclaraient que leurs élèves “écrivaient rarement ou jamais à la main”, taux qui atteignait plus 57% au lycée. PIRLS indique par ailleurs, dans sa dernière mouture, un recul des compétences de littéracie, même si elles demeurent en tête de classement (mais on a vu que le classement n’est pas l’essentiel ici).
Alors a-t-on ouvert les vannes du numérique (en Suède et ailleurs) pour moderniser l’école, sans projet scientifiquement étayé, ou a-t-on pensé l’accès au numérique pédagogiquement, cognitivement, didactiquement ? La réponse semble assez clairement pencher pour la première version. Pourtant, le numérique a d’évidents atouts pour les apprentissages, pour différencier, pour multi-représenter. Mais cela ne peut pas tout remplacer. En particulier, cliquer remplace en effet souvent la lecture (le décodage et la compréhension) et l’écriture. Personnellement, je serais bien embêtée sans mes tablettes et sans les salles info : pour apprendre à programmer, pour travailler l’accès à la démonstration sur des logiciels de géométrie dynamique, pour automatiser tout un tas de savoirs et de savoir-faire, j’en ai clairement besoin. Maintenant, on me retirerait tous nos supports papier, je ne sais pas du tout comment je pourrais enseigner… Pour construire une trace d’institutionnalisation avec les lèves, en co-construction, sans cahier ce serait impossible. Et même chose pour tout un tas d’exercices et de problèmes, qui n’ont rien à voir avec l’usage du numérique et nécessitent du brouillon et une mise au propre à la main, élaborée ensemble.
Le rapport au temps est différent, avec les écrits papier. La pensée des élèves se pose davantage, on est moins dans la réaction et l’essai-erreur parfois en réponse à un mot clef ou au hasard. Et là, une autre question se pose : la question du numérique hors l’école. Clairement, et des études l’ont mis en évidence, l’usage excessif de certains réseaux sociaux modifie le cerveau. Les capacités de concentration sur certaines tâches qui nécessitent de l’analyse, le rapport aux récompenses et aux punitions, la sensibilité aux commentaires se modifie. On ne peut donc pas tout reporter sur l’école : quand voir des tout-petits sur un téléphone pour être “calmes” ou des écoliers aller à l’école avec un smartphone est devenu banal, il est plus que temps de s’interroger collectivement.
De là à balancer tout le numérique aux orties, il y a un pas qu’il serait bien dommage de franchir. Mais il faut une vraie, vraie réflexion, à l’école et hors l’école. Et ce serait bien qu’avant de faire des déclarations dans un sens ou dans l’autre, les personnes qui décident se renseignent pour comprendre les véritables enjeux éducatifs. Là encore, réfléchir et pas seulement réagir.
