Madame, je peux aller aux toilettes ?

Oui.

Mais pourtant, c’est un peu compliqué, comme réponse. La question, elle, est simple. Le besoin plus ou moins.

Certain(e)s élèves ont juste envie d’aller aux toilettes. Parfois c’est vrai, c’était la récré une demie-heure avant, alors on râle, on n’est pas content : les interruptions font perdre en temps et en rythme dans la séance. Mais ils sont jeunes et les récré occupent peu de temps dans leur journée ; n’aurais-je pas envie de jouer au tennis de table, de retrouver les ami(e)s d’autres classes ou de taper dans le ballon, à leur place, plutôt que de me demander si je ne vais pas avoir envie d’aller aux toilettes dans les deux heures à venir ? Les laisser sans possibilité de se soulager, c’est violent. On ne sait jamais d’ailleurs ce qui se passe : au collège, j’ai encore plusieurs élèves qui maîtrisent difficilement leur miction, d’autres sujets aux infections urinaires à répétition, d’autres encore ont laissé leurs protections périodique dans leur sac (encore que maintenant nous avons des distributeurs, et ça c’est super). Certainement on laisse partir des élèves qui auraient pu attendre, mais dans le doute je préfère prendre soin de celles et ceux dont le besoin est réel.

Se préoccuper des toilettes publiques revient à s’inquiéter du monde.

Julien Damon, sociologue

Pour d’autres élèves, le besoin est autre : ils ou elles ont envie d’aller se dégourdir les jambes, ont besoin de prendre l’air, n’en peuvent plus de la classe pour de multiples raisons. C’est plus un problème de fond qui devrait être considéré et traité autrement ; mais là n’est pas mon propos aujourd’hui.

Un article du Monde du 28 mai aborde la question des toilettes :

L’importance de disposer de lieux propres, gratuits, accessibles facilement, sûrs est bien mise en évidence. D’ailleurs c’est effectivement une évidence quand on en discute autour de soi. Mais en situation, c’est différent. Les toilettes scolaires en sont un très “bel” exemple : elles ne sont pas forcément propres (vu le manque d’agents dans les établissements, comment faire autrement ? Nos agents n’arrêtent pas, s’épuisent, mais ne peuvent pas être partout), pas facilement accessibles (dans mon collège, les toilettes sont fermées à clef en-dehors de récréations et en principe nous n’avons pas le droit de confier la clef à des élèves), et les élèves ne les ressentent pas comme sûres. Parfois des incidents s’y déroulent, de la bousculade à la moquerie. Pour les élèves qui se questionnent sur le genre, c’est encore plus compliqué, avec des affichages stéréotypés. Mais surtout les relations interpersonnelles entre les élèves sont telles qu’uriner de façon peut-être sonore, être le point central d’un dégagement odorant, sortir avec une serviette hygiénique à la main, perturbe. Autrement dit, oui, faire pipi fait du bruit, faire caca sent mauvais et quand on a ses règles, on utilise des serviettes hygiéniques pour recueillir le flux sanguin qu’on évacue. Le collège n’est pas le lieu le plus serein pour parler et vivre tout cela. Par ailleurs, quand je vais aux toilettes élèves parce qu’elles sont les seules proches, devoir prendre le papier toilette à l’avance et ne pas disposer de lunette (pas celles sur mon nez, hein) participe à un inconfort certain.

En France (et peut-être ailleurs, je n’en sais rien), on se heurte là au problème des incivilités : si quand on laisse les toilettes ouvertes on ne les retrouvait pas dégradées, parfois de façon hallucinante, si quand on met des distributeurs de papier toilette on ne retrouvait pas les cuvettes bouchées à en devoir faire venir un plombier, tout serait plus simple. J’ai bien conscience que c’est délicat, et qu’idéaliser ne résout pas la question.

Cependant je maintiens que c’est un problème important et qu’il faudrait le débattre davantage.

2 comments

  1. Dans mon collège en Gironde, on teste depuis le retour des vacances de printemps les toilettes mixtes. Nous avons quatre lieux “toilette” donc un par niveau. On attend la fin de l’année scolaire pour le bilan.
    Laisser sortir un élève pour aller aux toilettes devrait paraitre normal mais certains en profitent pour aller perturber d’autres cours, pour se donner en rendez-vous, pour fuguer, pour déclencher l’alarme , pour faire une tentative de suicide…(que du vécu oui j’ai quelques années d’enseignement en collège). Il faudrait alors choisir qui a le droit de sortir mais cela moi je le refuse. Je n’ai pas la solution

  2. A la fac où je travaille, certaines et certains collègues sont choqués quand une étudiante ou un étudiant sort en plein cours pour aller aux toilettes sans demander. Moi, je suis au contraire choqué qu’une personne apprenante se sente obligée de me demande la permission d’aller aux toilettes.
    Incidemment, je connais une cuvette de WC qui n’a pas de lunette depuis 1991. J’y vois un indicateur d’une résignation assez généralisée.

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