Des gens, du sable et des maths pour faire parler la pluie et le vent

Il y a deux ans, j’avais lu au sujet d’Alban Da Silva, qui terminait une thèse (soutenue en 2022) sur les dessins sur le sable du Vanuatu, en mathématiques/anthropologie. Les liens vers son travail sont dans cet article. Aujourd’hui, c’est dans Pour la Science d’août 2023 que ressurgit Alban Da Silva et le Vanuatu.

Le Vanuatu est un archipel, un pays du sud de l’océan Pacifique composé d’environ 80 îles. On y dénombre 140 langues vernaculaires, ce qui est le record mondial. Les dessins que réalisent des habitants du Vanuatu (dans les îles du centre de l’archipel) dans le sable sont classés depuis 2008 patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Cette pratique est sans doute millénaire. Des propriétés de ces dessins sont modélisables par des éléments de la théorie des graphes. Alban Da Silva s’est retrouvé, grâce aux échanges avec ses collègues et ses étudiants en Nouvelle Calédonie, plongé dans une recherche qui l’a occupé pendant six ans. Et il a mis au point un modèle mathématique “qui suit fidèlement la réalisation de ces oeuvres”. Ce modèle lui a permis de comprendre les procédures, mais aussi “comment ces démarches reflètent les relations que les sociétés du Vanuatu entretiennent avec leur environnement”.

Aujourd’hui, dans ces sociétés, cette pratique est reconnue comme un art graphique traditionnel comportant une dimension mnémotechnique impliquée dans la remémoration de connaissances rituelles, mythologiques et environnementales. (…) Selon Jief Todali, un chef coutumier, “Avant l’arrivée des étrangers blancs, les gens du nord de Pentecôte ne savaient pas parler. Ils ‘exprimaient à l’aide de dessins qu’ils traçaient sur le sol avec leurs doigts. A la place des gens, les rochers, les pierres, le sol des collines et des vallées, le vent, la pluie, l’eau de la mer parlaient. Mais maintenant la situation est inversée, ce sont les gens qui parlent et la terre, le vent, la pluie et la mer se sont tus. maintenant, les gens Sia Raga disent parfois : “nous devons parler pour la terre, car elle ne peut plus parler pour elle-même””

Alban Da Silva, Sciences et Vie, n°550, août 2023, page 26

Des règles précises encadrent la pratique de ces artistes, règles qui font forcément penser le mathématicien à la théorie des graphes, en particulier ce qui concerne les graphes eulériens. Dans son article, Alban Da Silva les décrit très clairement. Marcia Ascher a joué un rôle déterminant dans l’émergence de l’ethnomathématique, dans les années 1980. Alban Da Silva s’est appuyé sur ses travaux, mais a eu la chance, contrairement à la chercheuse, de pouvoir interagir, échanger, partager avec les habitants-artistes. Il décrit sa démarche et des conclusions, dans son article.

Ces résultats permettent de questionner l’universalité des mathématiques, et notamment la forme qu’elles prennent dans d’autres sociétés. Ils ouvrent aussi des perspectives pour leur enseignement. Depuis 2010, l’acquisition des savoirs traditionnels tels que les dessins sur le sable est l’un des objectifs de l’école vanuataise – une volonté qui s’inscrit dans un mouvement de décolonisation de l’école (…). Toutefois, dans le programme scolaire actuel, aucun lien n’est fait entre le dessin sur le sable et les mathématiques.

Alban Da Silva, Sciences et Vie, n°550, août 2023, page 26

L’ethnomathématique est décidément un domaine absolument passionnant. Et je vous conseille la lecture intégrale de cet article clair et palpitant. Il se termine par des pages pédagogiques d’explications très bien faites.

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