Histoires de spectres

Hier, j’ai lu un livre qui m’attendant depuis des semaines : histoires de spectres, de Nalini Anantharaman. C’est la retranscription de sa leçon inaugurale au Collège de France, prononcée le 10 novembre 2022. Nalini Anantharaman occupe au Collège de France la chaire géométrie spectrale.

Je ne savais pas trop à quoi m’attendre : allais-je me perdre dans des mathématiques trop loin de celles que je connais ? Hé bien non. Enfin, si, car en effet je n’y entends rien en spectres. Mais la parole est claire, simple dans sa forme, très pédagogique. Ce qui m’a éblouie, en plus de cette capacité à rendre accessible un propos manifestement hyper pointu et complexe, c’est le grande culture scientifique, en particulier en physique, de Nalini Anantharaman, et la façon dont elle montre naturellement comme la recherche n’a de sens qu’au sein d’une communauté, comme son réseau l’enrichit dans ses recherches.

Il faut conjurer la peur tout en reconnaissant aux mathématiques leur place singulière : outil de connaissance du monde, stade ultime de la pensée abstraite et lieu de création.

Nalini Anantharaman, discours inaugural au Collège de France, 10 novembre 2022

Les domaines de recherche de Nalini Anantharaman, tournent autour de l’équation de Schrodinger sur des variétés, le chaos quantique, l’ergodicité quantique sur les grands graphes ou la géométrie et spectre des surfaces hyperboliques aléatoires. C’est sûr, ça pète.

Une des raisons d’être de la géométrie spectrale est ce besoin que nous avons de conserver une intuition fondée sur les sens, et donc d’établir des liens entre notre vision géométrique et les objects spectraux.

Nalini Anantharaman, discours inaugural au Collège de France, 10 novembre 2022

Une question m’a frappée, une fois que j’ai pensé avoir compris le principe des spectres : comment un spectre discret peut-il naître dans un monde continu ? Nalini Anantharaman pose cette question à la page 15, et elle me trotte. Elle est intéressante et poétique, cette question.

Ce texte me touche beaucoup car il est consacré à la description détaillée de l’impasse dans laquelle mène cette démarche. Je crois que ce genre de texte se compte sur les doigts d’une main dans l’histoire des sciences. on ne publie pas un article pour expliquer qu’une expérience a échoué, ou qu’une démonstration mathématique a tourné court. Cette démarche de Born fait résonner en moi des souvenirs de situations d’échec où, ne pouvait me résoudre à la situation désespérante de devoir jeter deux ans de travail à la corbeille, j’ai fait cet effort d’exposer mes tentatives infructueuses en publiant et où cette démarche a permis de transformer l’échec en un résultat scientifique.

La frontière entre échec et réussite est souvent ténue

Nalini Anantharaman, discours inaugural au Collège de France, 10 novembre 2022, à propos du texte Mécanique atomique de Max Born en 1923

Ce passage m’a fait rire et a fait halluciner ma fille à qui le l’ai aussitôt lu :

J’ai eu l’occasion de constater que les physiciens semblent partagés entre ceux qui pensent que les définitions et démonstrations dites “rigoureuses” recherchées par les mathématiciens aident à la compréhension, et ceux qui estiment que la compréhension est quelque chose d’intuitif, qui ne passe pas du tout par la démonstration.

Nalini Anantharaman, discours inaugural au Collège de France

Plus loin dans son texte, Nalini Anantharaman dit que pour les mathématiciens, comprendre signifie démontrer. Ca aussi, cela me fait réfélchir.

Nalini Anantharaman a des cours en accès libre sur le site du Collège de France, et en donnera d’autres à partir du moins de novembre 2023.

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