Evaluations nationales et genre

Nathalie Sayac, professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, a publié le 14 septembre 2023 dans The Conversation un article qui pose l’intéressante question suivante :

Les évaluations nationales diagnostiques ont maintenant lieu en CP, en CE1, en CM1, en sixième, en quatrième, en seconde et en première année de CAP.

Concernant les évaluations de début d’école élémentaire (CP et CE1), un triste constat est établi depuis quelques années : les résultats des filles en mathématiques à la mi-CP (janvier) s’écartent négativement de ceux des garçons alors même que, quelques mois auparavant, ceux de l’évaluation d’entrée au CP (septembre) ne révélaient aucun écart. Ces écarts se poursuivent, de manière encore plus marquée, au début du CE1.

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Ainsi, en quatre mois, des écarts se creusent entre les genres. Quatre mois, c’est peu. Nathalie Sayac propose plusieurs pistes pour expliquer cet inacceptable état de fait :

Les filles intègreraient plus rapidement que les garçons les codes scolaires de la « grande école » avec cette pression évaluative qui est caractéristique de l’école française. Plus sensibles à cette pression à partir de l’évaluation de mi-CP, elles réussiraient donc moins bien. Cette pression pourrait être plus forte à la mi-CP et au CE1 qu’au début du CP où les enseignants, conscients d’accueillir des « petits de maternelle », seraient plus attentifs à créer un climat d’évaluation non anxiogène.

Par ailleurs, la nature et le protocole de passation sont à questionner dans la mesure où certains exercices proposés dans ces évaluations pourraient également contribuer à angoisser davantage certains élèves du fait de leur caractère inédit à l’école primaire (par exemple, une série de 15 calculs à effectuer en 7 minutes).

Autre piste à considérer : la question de la construction de l’identité genrée des élèves doit également être considérée car, même si elle est d’une grande variabilité selon les élèves et les contextes sociaux et familiaux, on sait que très tôt (vers 2-3 ans), les enfants sont capables de s’identifier en tant que fille ou garçon et que vers 6-7 ans, ils/elles seraient en mesure de reconnaitre le caractère immuable de l’appartenance à un groupe de sexe.

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Les pratiques des enseignants de CP et de CE1sont peut-être aussi inconsciemment plus ou moins chargées de stéréotypes genrés : on ne peut éluder la question.

Et puis, à force de relayer que les filles réussissent moins bien, on creuse sans doute les écarts :

Un cercle vicieux fatalement défavorable aux filles en mathématiques se développerait alors : plus le stéréotype de suprématie des garçons en mathématiques serait conforté par des résultats à des évaluations standardisées en mathématiques, plus il engendrerait des comportements de menace du stéréotype de la part des filles et des attitudes ou pratiques inégalitaires de la part des enseignants, parents et institutionnels et in fine, aboutirait à des résultats encore plus différenciés entre les filles et les garçons en mathématiques.

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La conclusion de Nathalie Sayac est que les résultats de ces évaluations doivent être envisagés avec prudence, sens de la nuance et intelligence. On pourrait peut-être aussi, au niveau du ministère, cesser de faire une fixette dessus et nous laisser faire.

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