La liberté pédagogique n’est pas une option

Bin non.

Pour au moins trois raisons, de nature très différentes :

  • Les enseignants sont des professionnels. Ils ont des savoirs, des compétences. Ils sont les seuls à connaître aussi bien les besoins des élèves qu’ils ont en face d’eux : ce métier, ils le font tous les jours, avec réflexivité. Ils sont dans la réalité, bien plus complexe que des modèles étudiés à partir d’une perspective. Ils lisent, apprennent, échangent, réfléchissent pour améliorer leurs pratiques. Ni un didacticien, ni un neuroscientifique, ni un ministre, seul, ne peut déterminer d’UNE bonne méthode. Apporter des éléments, oui. Mais pas sans nous. Celles et ceux qui enseignent, c’est nous, avec l’aide constructive et discutée de toutes celles et ceux qui sont compétents pour cela;
  • Enseigner est un acte complexe qui repose sur l’échange, l’interaction. Un enseignant est une personne, pas un robot. Sa personnalité, son histoire, ses aspirations, sa culture, sa formation initiale influent sur sa façon d’enseigner. Il n’existe donc pas UNE méthode pour enseigner bien comme il faut. D’ailleurs tout enseignant sait qu’une bonne séance, un outil éprouvé et reconnu, peut échouer parfois, pour des raisons lié au caractère humain du public et de l’enseignant lui-même.
  • Nous retirer la liberté pédagogique est un acte autoritaire, hors sol et absolument théorique. On ne peut pas nous retirer cette liberté, concrètement.

Pourquoi est-ce que je vous raconte ça ? Parce que, partant d’un article du Café péda, j’ai cliqué sur une source, puis une autre, et je me suis trouvée sur une “note d’enjeux” de l’Institut Montaigne, en date de septembre 2023. Qu’est-ce qui m’a pris d’aller lire ça, je ne sais pas. Sans doute un souci d’exhaustivité, de curiosité saine. Je ne voulais pas m’arrêter à des “on dit”, et lire par moi-même. L’enfer est pavé de bonnes intentions, me direz-vous.

Notez que je partage des constats et même des idées d’amélioration, dans cette note. Mais il y a des passages qui hérissent. Le rapport à l’évaluation est proche du compulsif, alors que je le rappelle, notre métier s’appelle “enseignant”, donc consiste avant tout à enseigner. Evaluer est indispensable, dans une séquence : c’est une étape du processus d’apprentissage. Mais évaluer nécessité d’avoir enseigné avant (voire pendant, et aussi de construire l’après), et c’est une mission d’une autre ampleur qu’évaluer.

Mais le pire du pire, dans cette note d’enjeux, c’est sur la liberté pédagogique :

L’État semble s’être peu à peu défaussé de ses responsabilités. L’octroi de la liberté pédagogique qui consiste à laisser l’enseignant libre de sa méthode d’enseignement du programme, est l’une des consécrations de cette fuite en avant. Aucun objectif clair ne lui est assigné et les outils pédagogiques mis à sa disposition sont insuffisants.

Note d’enjeux de l’Institut Montaigne, pages 6 et 7

Cette réalité des évaluations a été complexifiée par l’octroi de la liberté pédagogique aux enseignants, inscrite dans la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école. Celle-ci permet aux professeurs de choisir les méthodes pédagogiques et exercices qu’ils souhaitent pour s’adapter à la diversité et aux profils de leurs élèves. De facto, les inspecteurs n’étant plus prescripteurs des bonnes pratiques pédagogiques à mettre en œuvre, leur rôle s’avère d’autant plus limité.

Note d’enjeux de l’Institut Montaigne, page 39

“Une des consécrations de cette fuite en avant” ??? Ca part loin ! Des objectifs clairs, nous en avons : les programmes officiels, les repères, les attendus de fin de cycle, le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Des outils pédagogiques, nous en avons aussi : ceux que nous construisons, en prenant appui des apports de la recherche et de la formation et en les pensant à l’aune de nos objectifs et de nos pratiques, mais aussi des outils institutionnels que sont les guides, les documents d’accompagnement, etc. Je peux citer un grand nombre de ressources institutionnelles de grande qualité.

Ensuite, les inspecteurs sont aussi prescripteurs de bonnes pratiques. Là aussi, j’ai des exemples précis et vécus en tête. Un inspecteur n’est pas un garde-chiourme ou un croquemitaine. C’est un partenaire. Evidemment cela dépend aussi de la personne qu’est l’inspecteur, et il se trouve que j’ai de bonnes expériences, qui peut-être, malheureusement, ne reflètent pas la vôtre. En tout cas, un inspecteur ne peut pas compter poser son autorité grâce à un savoir mystérieux qu’il apporterait au pauvre petit prof affamé de recettes magique pour mater enseigner ses élèves. Son rôle est bien plus vaste, humain, complexe, à l’interface de tout un tas de niveaux et d’interlocuteurs.

Donc bref, la liberté pédagogique fait partie de notre métier. Ce n’est pas une option. Alors autant économiser du temps et de l’encre.

Ah, et nous prescrire des “manuels labellisés”est illusoire, aussi. Pourtant, c’est vrai, il faut être très très prudent dans l’utilisation des manuels. Ce sont des ressources, des outils, mais certainement pas clef en main, jamais. Cela étant, d’une part les maisons d’édition ne vont pas être très heureuses de cette riche idée, ee d’autre part tout manuel peut être utilisé à bon escient ou d’une façon catastrophique. Car enseignant est un métier (Ah oui, je l’ai déjà dit ?) qui ne dépend pas du manuel, mais de la personne.

Toutes ces questions sont complexes. Des raisonnements simplistes ne nous aident vraiment pas. De l’aide, du dialogue, oui, nous prenons avec joie. Ah, et un peu de délicatesse nous ferait vraiment du bien.

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