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Ce qui distingue l’éducation du dressage

Gabriel Attal, ancien ministre de l’éducation nationale, a eu ces mots sur « Le FigaroTV » la semaine dernière :

Ces dernières années, ces dernières décennies, on a laissé dans une forme de pédagogisme s’installer l’idée qu’il y a une relation d’égal à égal entre l’enseignant et ses élèves. Il n’y a pas de relation d’égal à égal entre l’enseignant et ses élèves. Parce qu’en fait il y a celui qui sait et celui qui apprend. Et donc évidemment que celui qui sait a une autorité par son savoir sur celui qui apprend.

Rholala.

Revenons sur ce mot, “pédagogisme”. Ce mot n’existe pas. C’est un néologisme (en soi, ce n’est pas grave et je suis hyper mal placé pour critiquer l’utilisation de néologismes). Mais il est hyper pratique pour parler d’on-ne-sait-pas-trop-quoi-mais-indignons-nous-donc-ensemble-braves-gens-car-tout-fout-l’camp, et généralement utilisé dans ce but, ou pour pratiquer l’ironie, version pauvre de l’humour des personnes qui en sont dépourvues. Cependant Gabriel Attal l’utilise dans un autre but : ratisser. C’est l’automne, c’est le moment.

J’ai trouvé différentes définitions du pédagogisme, mais énoncées par des personnes que le terme agace. Elles ne sont par conséquent jamais neutres, comme pour Meirieu. Mais si sa définition peut sembler partisane (comment pourrait-il en être autrement avec un mot fait pour discréditer, en même temps ?), Meirieu m’apprend que le mot est attribué à Montaigne (1595) et désignait l’enseignement de Platon. C’est sa systématisation dans le langage courant qui est récente. Pour Wikipedia,

Le pédagogisme est un terme péjoratif employé pour désigner et critiquer le travail d’enseignants qui utilisent des méthodes d’enseignement scolaire développées par le mouvement de l’Éducation nouvelle.

Je me suis demandé ce que recouvre l’expression “éducation nouvelle”. Voilà :

L’éducation nouvelle est un courant pédagogique qui défend le principe d’une participation active des individus à leur propre formation. Elle déclare que l’apprentissage, avant d’être une accumulation de connaissances, doit être un facteur de progrès global de la personne. Pour cela, il faut partir de ses centres d’intérêt et s’efforcer de susciter l’esprit d’exploration et de coopération : c’est le principe des méthodes actives. Elle prône une éducation globale, accordant une importance égale aux différents domaines éducatifs : intellectuels et artistiques, mais également physiques, manuels et sociaux. L’apprentissage de la vie sociale est considéré comme essentiel.

Ah, d’accord. Alors l’enseignement des compétences psychosociales porté actuellement s’inscrit dans ce courant. Le dispositif Phare, ou EVARS aussi je suppose. L’idée est amusante.

On connaît aussi le délicieux mot dérivé : pédagogo, pour désigner de façon soit-disant drôle et tout à fait insultante des enseignants crédules qui développent un penchant pour ledit pédagogisme.

Quelle que soit la philosophie éducative dont on se revendique, le pédagogisme a donc ceci de pratique qu’il est délétère. Qui le pratique ? On ne sait pas bien.

Mettons donc les choses au clair : je ne connais pas d’enseignants qui considèrent qu’ils sont les égaux des élèves dans la classe. Je ne connais pas non plus d’élève ou de famille qui le souhaite. Evidemment, la relation élève-enseignant est asymétrique par nature, puisque l’un reçoit le savoir que détient l’autre, que l’un peut sanctionner, voire punir de façon institutionnelle et pas l’autre. Pour autant, il demeure envisageable de considérer que l’élève est une personne, porteuse d’une histoire, d’aspirations, de points forts et de fragilités sans être une chiffe molle gauchiste. Envisager l’élève aussi comme une personne n’empêche pas du tout de le penser élève, ni de guider sa classe de façon efficace, sereine et sans compromissions de quelque ordre que ce soit.

Par ailleurs, Gabriel Attal use et abuse de l’implicite. Claude Lelièvre le relève :

Par de là le flou de la périodisation (« ces dernières années, ces dernières décennies ») et le flou de la référence (« une forme de pédagogisme »), on peut se demander quels sont ces enseignants qui se situeraient dans une relation effective « d’égal à égal » avec leurs élèves. Et aussi quel est ce « on » qui a laissé s’installer cette « idée ».

Claude Lelièvre sur le Café pédagogique

Claude Lelièvre, à sa façon élégante, rappelle les mots de Ferdinand Buisson, nommé par Jules Ferry à la tête de la Direction de l’école primaire :

L’élève (…) est votre collaborateur le plus efficace. Faites en sorte qu’il ne subisse pas l’instruction, mais qu’il y prenne une part active […]. C’est ce qui distingue l’éducation du dressage : l’une développe des dispositions naturelles, l’autre n’obtient que des résultats apparents à l’aide de procédés mécanique.

Conférence de Ferdinand Buisson aux instituteurs délégués à l’Exposition universelle de 1878

Ferdinand Buisson ne focalisait pas sur l’autorité. Il focalisait sur le développement d’esprits libres, sur l’implication des élèves dans les apprentissages. Il ne voulait pas formater mais que l’école participe à permettre aux élèves de devenir des citoyens éclairés, autonomes. Evidemment, à l’ère des fake news à tous les étages, des deep fake puant et navrant, le propos de Ferdinand Buisson peut sembler suranné. Ou alors il peut s’inscrire dans une forme de résistance.

Le propos de Gabriel Attal me gêne autrement : non seulement il associe, à mon sens (mais de façon suffisamment vague pour qu’on puisse le nier), considération pour l’élève en tant que personne et manque d’autorité, mais en plus il semble considérer l’autorité comme une priorité. Or l’autorité est un corollaire de l’acte d’enseigner. Ce n’est pas un pré-requis, c’est une conséquence. On ne commence pas par poser son autorité pour ensuite enseigner. C’est vrai, certaines façons de se comporter en classe, de parler, d’organiser son groupe, ne sont pas propices à un climat de travail. Mais en fait voilà, je préfèrerais que l’on parle de climat de travail. Au moins, cela remettrait au centre ce qui est prioritaire : apprendre (et non obéir). Et une classe qui travaille, des élèves qui s’impliquent, qui s’engagent par une véritable dévolution, qui adhèrent au projet de l’enseignant, cela dépend beaucoup des travaux proposés : ces travaux sont-ils à leur portée ? Sont-ils motivants ? Et sont-ils bien pensés et bien mis en pratique ? Cela ne suffit pas pour éviter tout incident ou toute confrontation : lorsque j’enseignais en ZEP, en zone violence ou en REP+, tout n’était pas un long fleuve tranquille. Justement parce que nous ne sommes pas égaux dans une classe, certains jeunes testent les limites ou sont débordés par des émotions, des peurs, et ça part en cacahuète. Il faut alors que nous, enseignants, sachions gérer le conflit de façon efficace et juste, de façon raisonnée et respectueuse pour tout le monde (nous, l’élève, les autres élèves). Mais finalement, derrière ces questions il y a le respect qu’on a pour les élèves, la volonté de les observer pour les envisager dans leur globalité, respecter qui ils sont, leur époque, leurs besoins.

Derrière le fantasme de l’autorité, il y a l’idée de soumission. Mais qui apprend par soumission ? Personne. J’ai entendu un collègue dire à un groupe de collègues que nous formions ensemble : “Pour enseigner, commence par abandonner toute idée de pouvoir. Là, tu pourras vraiment réfléchir”. C’est vrai. Dans les propos de notre ancien ministre, il y a pourtant cette idée de pouvoir, d’ascendant. Nous n’avons pas besoin d’éprouver un quelconque ascendant sur nos élèves. Ce que nous devons faire, c’est déployer des organisations pédagogiques et didactiques pour les mettre en réussite, dans le but final de les rendre autonomes de pensée.

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