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des anamorphoses à Munich

Me voilà de passage à Munich pour y apporter de belles anamorphoses, entre autres. Après avoir flâné hier, profite du soleil dans le jardin anglais, je prends des forces en dégustant une saine lecture : le dernier numéro que j’ai commandé des Cahiers Pédagogiques, intitulé « Peut-on inclure sans exclure ? » Vaste question franchement posée.

Je vous raconterai la lecture. Mais si le sujet vous intéresse (comment pourrait-il en être autrement ?) je vous encourage à commander ce numéro (et plein d’autres), ce qui vous permettra, en plus d’apporter des éléments à votre réflexion, de soutenir les Cahiers Pédagogiques.

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Un peu d’orthophonie ?

Ce matin, nous retrouvons Frédéric Pasquet, orthophoniste et linguiste, directeur de département orthophonie, UFR Santé à Rouen, qui nous a déjà formés plus tôt cette année. Voici mes notes, comme d’habitude issues d’une sélection subjective, un peu décousues sans doute car je suis enrhumée.

Quand on fait une tâche, on ne mesure jamais un seul processus cognitif du modèle. On le mesure aussi, on le mesure notamment, mais pas exclusivement.

La caractéristique des “enfants qui vont bien”, c’est l’homogénéité des performances dans une zone restreinte de variabilité. Evidemment, on préfère une homogénéité haute, mais ce peut être homogènement bas : il y aura juste des performances moindres. Ainsi, un trouble c’est une hétérogénéité des performances. Le trouble, c’est ce qui est rare. Et ce qui est rare, c’est l’hétérogénéité. Un trouble peut par exemple correspondre à des performances hautes, avec une performance significativement plus basse, mais plus haute que pour un enfant qui n’a pas de trouble, mais avec une homogénéité plus basse. Compte-tenu des normes, un trouble est associé à une dissociation.

L’environnement ne peut pas soigner un trouble. L’environnement joue beaucoup plus sur les enfants sans trouble. Il a une influence vraiment moindre sinon. Mais il joue dans le fait que l’enfant se sent bien, vit mieux avec son trouble.

Nous avons découvert Clea, un outil numérique standardisé et étalonné, publié en 2014. C’est un outil dont Frédéric Pasquet est coauteur, mais qui ne nous est pas accessible, à moins d’avoir beaucoup de sous. C’est un outil vraiment intéressant et bien fichu. J’ai mis du temps à comprendre la différence entre sé&mantique et syntaxique, justement parce que bien souvent tout est un peu mélangé. Je me suis fabriqué des théorèmes en acte, mais parfois cela ne suffit pas et je me trompe. Phonologique et lexical, c’est clair.

Les questions posées ne sont pas mono-tâches, car faire des progrès en contexte c’est améliorer le fonctionnement linguistique global. Améliorer directement les performances sur une tâche visée (comme l’écriture de mots) ne suffit pas : il faut produire une réorganisation du fonctionnement, ne pas se contenter d’une amélioration des effets de tâches. Autrement dit, automatiser ne suffit pas. Automatiser n’est pas synonyme de remédier au sens de donner accès à de l’autonomie et de développer la capacité à transférer à d’autres contextes.

Les approches métacognitives peuvent être déployées en complément d’approche qui font automatiser : pour pouvoir réfléchir à comment je fonctionne, il faut déjà fonctionner un peu. C’est dans un second temps.

La prosodie est un des piliers précoces d’ancrage du sens. La prosodie permet de lever des ambiguïtés dans la reconnaissance de vignettes, même chez les tout petits. Certains enfants comprennent globalement bien ce qu’on leur dit juste grâce aux intonations. Le contexte joue aussi beaucoup.

Frédéric Pasquet nous a conseillé Tacit, pour le travail sur les inférences à l’écrit. Cela tombe bien : j’adore cet outil.

Il est très important de toujours relier l’orthographe au sens : les enfants vont avoir tendance à accélérer sur l’identification des mots en déconnectant du sens. Autrement dit, la fluence, pour des enfants qui ont des troubles, c’est une catastrophe. Cela risque de limiter dramatiquement l’accès au sens. L’accélération de la lecture des mots doit être la conséquence, pas le moyen, de l’aide apportée.

Selon Frédéric Pasquet, la mémoire de travail se développe sur la lecture, et sinon c’est de la mémoire à court terme.

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Et si la violence de classe était d’abord une question d’omissions ?

Un article du Nouve Obs, par Gurvan Le Guellec, aborde le fait que les dispositifs ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire) et les classes SEGPA (Section d’enseignement général et professionnel adapté) ne sont absolument pas prises en compte dans la réforme du gouvernement. L’article est en accès libre.

Cela fait tout de même 86 000 élèves confrontés à des difficultés d’apprentissage, regroupés dans les sections Segpa, et 48 000 autres en situation de handicap, réunis dans les dispositifs Ulis, qui sont laissés pour compte dans la réforme.

La note de service publiée par le ministère mi-mars indique diplomatiquement qu’il s’agira de « constituer des groupes évolutifs en fonction des besoins et compétences des élèves, sans que d’autres critères, tels que la situation de handicap, n’entrent en ligne de compte ». Mais la question reste ouverte : où diable va-t-on « inclure » nos Ulis ? Chez les forts, au risque de les noyer, même si des enfants handicapés peuvent maîtriser avec beaucoup de talent certaines compétences et disciplines ? Ou chez les faibles, au risque de mieux les stigmatiser ?

Gurvan Le Guellec

Le 3 avril, après quelques remous dûs à l’opposition à une heure enlevée aux SEGPA pour tenter de boucher les trous en enseignement régulier (pour les groupes de niveau totalement fantasques en plus d’être philosophiquement répugnants), Nicole Belloubet a affirmé au Sénat que « deux heures supplémentaires seront [finalement] données aux Segpa ». Mais en fait, non : ces deux heures ne sont que les deux heures de soutien déjà annoncées, dont les élèves de Segpa « font évidemment partie » et « pourront » bénéficier, à condition d’avoir des prof (ou autres, allez…) en face d’eux… Les élèves des dispositifs ULIS aussi, évidemment, s’ils sont dans leur classe de référence sur ces heures et dans ces disciplines.

Une autre annonce m’inquiète : on nous dit que pour aller au lycée, il faut le DNB. Je ne suis pas sûre, car la communication du gouvernement est absconse et à géométrie variable, mais j’ai cru comprendre que cela concernait l’accès au lycée pro et au lycée général. Le niveau minimal visé en sortie de dispositif ULIS est le niveau fin de cycle 3. Il est assez rare que des élèves de dispositif ULIS passent le DNB. Mais alors que propose-t-on à nos élèves ? Elles et ils sont capables de réussir au lycée professionnel, pourtant. Avec ou sans le DNB, qui est un exercice scolaire très stéréotypé et heureusement non prédicteur.

Et si la violence de classe était d’abord une question d’omissions ?

Gurvan Le Guellec
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Tenter l’aventure de l’enseignement spécialisé

Cher(e)s collègues normand(e)s, et chers autres (mais il faut vous renseigner par chez-vous), si vous avez envie de tenter l’aventure de l’enseignement spécialisé, d’être en même temps enseignant dans un dispositif d’éducation inclusive, de devenir expert de l’analyse des besoins éducatifs particuliers et de construire des réponses adaptées, d’être personne ressource auprès des collègues, familles, partenaires, etc., que vous avez soif de vous renouveler, de comprendre, d’élargir vos champs d’enseignement, de travailler encore plus en intermétier, de participer à des projets de vie sur un temps plus long, ET EN PLUS de bénéficier pour y parvenir d’une formation comme vous n’en avez jamais vue, qui va vous demander un sacré taf mais vous transformer, hé ben faut y aller :

Les personnels intéressés par la formation préparatoire au CAPPEI devront, dès la parution de la présente note :

  1. Constituer leur dossier de demande de départ en formation CAPPEI
  2. Transmettre à l’inspecteur du 2nd degré de référence et recueillir l’avis demandé
  3. Faire envoyer la fiche entièrement complétée par l’établissement d’exercice à l’EAFC

La fiche de candidature ci-jointe (annexe 1) devra être envoyée par l’établissement d’exercice avec comme date limite de réception par l’EAFC : le mercredi 10 avril 2024 à eafc@ac-normandie.fr

Des entretiens en visioconférence seront organisés entre 15 avril et le 19 avril 2024.

Je vous mets même ici les docs, allez. Parce que c’est un beau projet, central, crucial, humain, et que j’y suis tellement profondément bien que j’aimerais vous y amener.

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Mais on a plein d’idées

Des collègues nantais ont réalisé un clip pour s’élever contre les réformes en route : ils et elles ont des tas d’idées pour donner envie d’apprendre. Dans leurs rêves et leurs aspirations, il n’y a pas de “choc”, ni des savoirs ni d’autre chose, mais la volonté d’accueillir, de transmettre et de faire grandir. Ils ne veulent pas se retrouver à “coller” les élèves dans tel ou tel groupe. Ils et elles veulent être enseignants, ce qui va bien plus loin que d’enseigner. La diversité des élèves est mise en avant d’une très jolie façon et avec humanité : cette diversité est un atout, pas une faiblesse. Bravo à elles et eux !

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“Besoin de vous dire que moi j’y crois !” (Moi aussi)

Le 7 février 2024, Isabelle Martinez, professeure des écoles depuis plus de 20 ans, a publié une lettre ouverte au président de la république, au premier ministre et à la ministre de l’Éducation Nationale. Le Café Pédagogique a relayé sa lettre.

Isabelle Martinez exprime dans sa lettre le poids du mépris quotidien que nous subissons. Elle y parle de notre ambition pour les élèves, de nos valeurs, de la société à laquelle nous aspirons, si loin de ce que le gouvernement permet et construit.

Pourquoi devrions-nous former nos élèves à l’empathie alors que vous construisez une société où il faut dépasser les autres, être en compétition, gagner, diriger. L’empathie est-elle un critère d’entrée dans les grandes écoles, dans les recrutements de grandes entreprises ? Alors pourquoi ? Est-ce une volonté d’apprendre aux plus faibles à se faire dominer et humilier avec sourire et résilience ?

Isabelle Martinez

Délicatesse, souci des autres, bienveillance… Lire madame Martinez fait du bien. Elle porte un regard terriblement lucide sur la politique de notre gouvernement, sur la société d’aujourd’hui, mais ne lâche rien de ce à quoi elle croit.

Vous ne pourrez instruire, éduquer, passionner un élève comme vous assemblez des pièces détachées sur une chaîne de montage automobile. Le professeur qui vous a éveillé, donné envie d’apprendre, surpris, bousculé, remis en question était un professeur pas comme les autres non ? Son humanité, sa psychologie, sa personnalité vous ont marqués pour toujours et il n’enchaînait pas les exercices du manuel comme un robot.

Aujourd’hui comme hier et comme demain, le professeur efficace est l’individu intelligent empli de passion, d’enthousiasme, de projets pour ses élèves et j’ose…d’amour ! Que vous le vouliez ou non.

Isabelle Martinez

De l’école inclusive à nos conditions de travail, de la laïcité à la formation, tout est posé sur le papier, simplement.

Donnez-nous les moyens de réussir vraiment et gardez votre primes qui n’ont rien d’une revalorisation mais qui sont un os à ronger pour étouffer notre colère.

Isabelle Martinez

Isabelle Martinez exprime bien la foi des enseignants en un possible d’une autre société. Mais ce possible devient un idéal tant il s’éloigne, et tant cet éloignement s’accélère ces dernières années. Mais qui lira vraiment Isabelle Martinez ? Nous, ses pairs, mais les décideurs, les médias, les parents la liront-elle ?

Alors diffusons sa lettre. Faisons-la lire.

Merci, Isabelle.

Besoin de vous dire que moi j’y crois !

Je crois en chacun de mes élèves, je crois que chacun d’eux a des richesses à partager avec la société, je crois aux valeurs de la France et je les fais vivre dans ma classe comme mes collègues. Mais la bulle où liberté, égalité, fraternité existent se nomme l’école et ensuite ? Et dehors ? Et le soir ? Et à la télé ? Et dans vos décisions ?

Isabelle Martinez
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Numérique en enseignement : oui, mais n’oublions pas de réfléchir

Depuis quelques jours, une discussion court sur X à propos des outils numériques de l’enseignement des disciplines, et particulièrement des mathématiques. Heureusement les collègues qui participent sont réflexifs, sympas et ouverts, parce que cette discussion aurait pu tourner en eau de boudin* : quand on parle philosophie des pratiques de classe c’est toujours délicat, et ici il y a beaucoup à interpréter de travers dans les échanges.

** Digressons un peu : cette expression vient de ce qu’en fait, dans le cochon, tout n’est pas bon : de l’eau du cuisson du boudin on ne peut rien faire, même pas du bouillon

Je vais donc essayer de préciser ce que je voulais dire (mais sur X, avec si peu de caractères, c’est bien difficile) en continuant de marcher sur des oeufs : je ne veux fâcher personne et je n’exprime qu’une opinion personnelle. Et puis si on me demande mon avis sur l’apport du numérique dans l’enseignement, c’est simple : pour moi, il est révolutionnaire** et précieux.

** Révolutionnaire, car j’ai enseigné des années au vidéo projecteur et même avec des duplicateurs à alcool et des stencils, messieurs-dames, oui-oui-oui. J’ai su que j’avais le CAPES grâce au Minitel, même…

Au départ il y a un constat : les outils numériques pour l’enseignement se multiplient. J’en utilise moi-même beaucoup, beaucoup, et je serais bien malheureuse de devoir m’en passer, car cela nuirait aux apprentissages de mes élèves. En plus, ces outils m’apportent souvent un confort non négligeable : comme l’ont fait remarquer des collègues, la pertinence et la simplicité d’usage de ces outils nous permet de nous consacrer aux élèves qui en ont le plus besoin à ce moment-là.

Scratch

Alors où est le problème ?, me demanderez-vous fort judicieusement.

D’abord, il y a une accélération de la création de ces outils numériques. Ils foisonnent. C’est plutôt une bonne chose : ils foisonnent parce qu’ils s’améliorent, naissent en réponse à des besoins, s’adaptent à l’enseignement d’aujourd’hui. Mais ce foisonnement nuit à l’analyse de ce qui arrive jusqu’à nous. Ce n’est pas si grave, car au pire nous essayons, et nous perdons trop de temps à ne pas prendre en main ou nous n’identifions pas une réponse à nos besoins, et nous abandonnons l’outil. Là où c’est plus embêtant, c’est que n’est pas Arnaud Durand ou Christophe Auclair qui veut. Pour produire un outil numérique efficace, il faut une expertise didactique et pédagogique très solide, en plus de compétences d’ingénierie et de réalisation de l’outil. C’est comme les manuels, finalement : parfois on voit arriver dans les classes de outils maladroits. Mais justement, c’est comme les manuels : l’enseignant, grâce à sa maîtrise de la construction de séances d’enseignement, doit pouvoir y voir clair.

Ensuite, une conséquence du foisonnement des outils numériques, c’est qu’ils prennent de plus en plus de place dans nos échanges professionnels. Alice Ernoult, dans une des conversations sur X, note que dans ces échanges, la part de la discipline et sa didactique diminuent. Je suis d’accord, et cela m’inquiète. Cela ne concerne pas tous les concepteurs des outils numériques : comme je l’ai écrit plus haut, ils font partie des gros cogiteurs didactiques et pédagogiques. Mais du côté des utilisateurs, en revanche, la généralisation est moins sûre. Voici plusieurs raisons qui m’amènent à penser cela :

  • Un collègue m’expliquait la semaine dernière qu’avec les outils numériques qu’il utilise, plus besoin de corriger : la correction arrive sous forme de score. C’est vrai, certaines applications ou certains sites permettent de récupérer de façon synthétique et quantitative les réussites de nos élèves que l’activité menée. C’est très pratique, en effet. Mais attention : si ce score donne des indications, il ne donne pas d’informations sur la nature des réussites et des erreurs. Comment construire la suite ou remédier lorsqu’on n’a qu’un pourcentage de réussite ? Si on travaille sur des tables de multiplication données ou à développer un automatisme précis dans un contexte défini, pas de souci, on sait quoi faire du score. Mais savoir quelle a été la réponse de l’élève est indispensable et très enrichissant pour notre réflexion. Ce score n’est d’ailleurs pas une “correction”. Certains sites proposent un accès aux réponses ; ça, c’est top.
  • Il y a aussi la question des préparations : même si une séance prend appui fortement sur un outil numérique, elle doit être minutieusement préparée. Ce n’est pas si évident : le concepteur de l’outil n’a pas conçu un système clefs en mains. Il a conçu un outil à adapter à nos élèves, différemment pour chaque contexte. Rien qu’en se posant la question de l’institutionnalisation, de la synthèse (quels contenu, quand dans la séance ?), on comprend que c’est tout aussi, voire plus délicat que sans outil numérique.
  • Si l’usage d’outils numériques est un appui, voire un levier, lorsqu’elles sont utilisées de façon pertinente, les risques demeurent importants : puisqu’il y a moins de regard de l’enseignant sur l’activité individuelle, il y a aussi plus de risques de consolider des représentations erronées. Automatiser est très important, lorsqu’on automatise ce qui construit. C’est le problème de l’autonomie, en fait : elle est souvent agréable à l’élève, elle allège notre travail (et c’est bien), mais elle peut avoir des conséquences délétères en matière d’apprentissages. Si un élève répond correctement à plusieurs questions grâce à un théorème en acte, c’est-à-dire une “méthode” qu’il tient pour vraie parce que dans certaines cas de figure elle a mené à une bonne réponse, cela va poser évidemment des difficultés par la suite.
  • Une majorité d’outils numériques privilégient le travail et la réflexion individuels. Avons-nous envie de classes constituées d’individus le nez sur leur ordinateur ou leur tablette, qui n’échangent pas et comparent ponctuellement des scores, dans un esprit compétitifs ? C’est sûr, la “gestion de classe” sera peut-être un temps simplifiée. mais à mon avis c’est un mauvais calcul. Les compétences psycho-sociales vont en prendre un coup dans les chaussettes.
  • Le rapport au numérique me fait l’effet de suivre une tendance portée par une partie de notre institution ces derniers temps : c’est le retour des méthodes magiques. Or que ce soit une interprétation lointaine de la méthode de Singapour ou le recours au numérique, rien n’est magique, tout est complexe et humain, intellectuel et artisanal, dans l’enseignement. Chaque époque véhicule son y-a-qu’à-faut-qu’on, dans un cycle qui jamais ne s’arrête. Alors quand une collègue me demande si j’utilise telle combinaison de sites ou telle application, parce que vraiment, c’est ça qu’il faut faire et si je ne le fais pas je ne suis pas “dans les clous”, hé bien je vais voir les outils en question, parce que je veux entendre tous les conseils, mais le formatage derrière cette parole me gêne. Evidemment que ce serait formidable de trouver LA méthode qui fait réussir tout le monde. Mais elle n’existe pas, voilà.
Pyrates et Compute It

Cela étant, il n’est pas question de cesser d’inventer de nouveaux outils, évidemment. Le but est de faire progresser nos enseignements, en vivant avec notre temps. Mais sans doute est-il nécessaire que nous veillions à notre prise de recul, à penser de fragiles équilibres et à attirer l’attention sur l’indispensable réflexion que nécessite le moindre acte d’enseignement. Et puis mieux vaudrait ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. Le numérique n’est pas magique, il est pratique. De quel numérique parlons-nous chacun, finalement ? Du numérique comment, du numérique pourquoi, ? Peut-être pas du même… Vincent Joly, dans la discussion, a fait référence au “coeur du métier”. Tout est là, je crois. Alors du numérique, oui, mais de sorte que nous maîtrisions les rapports aux savoirs, que nous sachions décrire l’activité de nos élèves, précisément, que nous puissions avoir en conscience un retour qualitatif de leurs acquisitions et de leurs difficultés, étayé sur des indices les plus objectifs possible.

Défi relatifs

En revanche, ce qui est super chouette, c’est que ce type de questionnement nous permet de débattre et d’échanger. Et même si c’est numériquement, cela nous permet de progresser. 🙂

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La société inclusive, parlons-en !

Ah bin oui, bonne idée. “La société inclusive, parlons-en !” est le titre d’un ouvrage de Charles Gardou, avec un sous-titre tout aussi essentiel : “Il n’y a pas de vie minuscule”. Ce livre, édité chez Erès, est d’une lecture claire et fluide, et il est essentiel. S’il vous plaît, lisez-le. Lisons-le. Offrons-le, prêtons-le, faisons-y référence. Les mots de Charles Gardou portent des idées tellement cruciales qu’il faut les porter plus loin, partout. J’ai beaucoup aimé les multiples références littéraires, aussi, et les narrations de vie de personnes abimées et aussi précieuses que toutes autres.

Une société inclusive défend non seulement le droit de vivre mais aussi celui d’exister

La société inclusive, parlons-en !, Il n’y a pas de vie minuscule, Charles Gardou, page 85

J’aurai voulu vous citer un seul extrait, mais je n’ai pas réussi. J’ai quand même été très très raisonnable, je trouve.

Ca, c’est pour mes élèves, qui ont grand besoin de prendre conscience de leur altérité :

A chaque naissance advient un être initial, nouveau ; un semblable à nul autre pareil, dont les dispositions et les qualités ne peuvent se réaliser que dans une aventure originale. Aucun être identique n’a existé, n’existe et n’existera. De cette réalité découle l’irréductible diversité des hommes : ils sont des exemplaires d’une même espèce, reliée par l’expérience de l’imperfection et, simultanément, des réalisation uniques, inassimilables les unes aux autres.

La société inclusive, parlons-en !, Il n’y a pas de vie minuscule, Charles Gardou, page 50

Ca, c’est pour les partisans de l’uniformité :

Il n’existe ni norme ni conformité absolues. (…) L’exclusivité d’une norme, culturellement construite, au gré du temps ou des cultures, et imposée par ceux qui se conçoivent comme la référence de la conformité, aggrave les rapports de domination et de violence auxquels sont exposés les personnes sont un dysfonctionnement physique ou mental amplifie la dépendance.

La société inclusive, parlons-en !, Il n’y a pas de vie minuscule, Charles Gardou, page 51

J’aime beaucoup l’image de la sève dans le tronc commun :

La gageure d’une société inclusive (…) est d’opérer des brèches dans les murs. D’édifier, non des barricades, mais des passerelles entre les territoires compartimentés et clos, contre autant de remparts contre la brutalité de l’exclusion. D’ouvrir des voies inédites à ceux qui attendent dans des impasses ; de faciliter la circulation de la sève dans le tronc commun.

La société inclusive, parlons-en !, Il n’y a pas de vie minuscule, Charles Gardou, pages 60 et 61

Charles Gardou a un avis intéressant et dissonant sur les besoins particuliers : selon lui, la “nouvelle catégorie” des EBEP (et plus généralement des personnes à besoins particuliers) va à l’encontre d’un esprit inclusif, car cela les éloigne du désir inhérent à la vie humaine. Je n’ai pas bien compris ce passage, et il renvoie à un autre ouvrage, dans les notes, qu’il faudrait que je lise aussi pour creuser.

Les sociétés se disculpent volontiers de la multiplicité et de l’ampleur des phénomènes discriminatoires incessamment reproduits. (…) Préférant l’anesthésie à l’insomnie, elles rechignent à affronter la réalité.

La société inclusive, parlons-en !, Il n’y a pas de vie minuscule, Charles Gardou, page 121

Allez, une dernière :

Tant qu’il y aura des classés et des déclassés, des glorifiés et des humiliés, le mot évolution restera dénué de sens, car il suppose de cheminer avec les plus fragiles, non de se complaire entre soi.

La société inclusive, parlons-en !, Il n’y a pas de vie minuscule, Charles Gardou, pages 150 et 151
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Un tour en ULIS : accompagner les familles

Sur Un tour en ULIS, un document en construction récapitule ”Quel.le professionnel.le pour quelle difficulté?” Voilà qui est bien fait et bien pratique. Dans le cadre de sa mission de personne ressource inhérente au métier de coordo ULIS, la collègue a pensé et réalisé “cette plaquette de présentation des différents professionnels qui peuvent être sollicités pour accompagner les élèves à besoins éducatifs particuliers”, pour être mieux à même d’orienter les familles vers des professionnels qui aident l’enfant à avancer dans son parcours.

Merci beaucoup à la collègue coordonnatrice d’une ULIS école de mettre ce beau travail à disposition !

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Nicole Belloubet et les “fariboles sur la restauration de l’autorité ou le port de la blouse”

Sur Bluesky, Philippe Watrelot a publié un post qui renvoie à un article écrit en 2016 par notre nouvelle ministre de l’éducation nationale, Nicole Belloubet.

Je voulais reproduire ici quelques courts extraits, mais c’est difficile d’élaguer. Cela étant j’ai fait des coupes et je vous conseille d’aller lire l’article dans son intégralité.

Les inégalités que le système éducatif français ne sait pas corriger sont de plus en plus criantes et les contempteurs de la situation actuelle sont obligés de se saisir de prétextes (par exemple la défense des sections de langues renforcées au détriment de l’extension de l’apprentissage des langues pour tous) ou de fuir le service public pour rejoindre l’entre-soi des classes homogènes dans l’enseignement privé. Pour sortir de l’alternative restrictive entre système centralisé et décentralisation structurelle, il faut s’appuyer sur la qualité des acteurs et s’assurer qu’ils ont les moyens de « penser » leurs missions dans les contextes singuliers où ils exercent.

La diffusion des résultats des neurosciences et les acquis scientifiques modifient peu à peu le paradigme éducatif en facilitant la prise en compte des besoins spécifiques des élèves. Loin des fariboles sur la restauration de l’autorité ou le port de la blouse, ceux qui sont réellement confrontés aux tâches éducatives cernent aujourd’hui l’essentiel : il faut sortir du cadre rigide du cours magistral, laisser du temps et de l’autonomie aux jeunes, ménager le droit à l’erreur dans les processus d’apprentissages, moderniser les supports en considérant les possibilités offertes par le numérique au prisme de leur intérêt pédagogique. Cela nécessite de varier les cadres temporels, les espaces éducatifs et la nature des intervenants. C’est le fond commun de la pédagogie de projet qui nourrit la réforme du collège récemment engagée. Mais, créer des dispositifs adaptés à chaque groupe d’élèves ne s’improvise pas et n’est possible qu’avec l’adhésion active des enseignants qui doivent disposer d’une solide culture pédagogique pour exercer à bon escient l’indispensable liberté pédagogique.

Pour être créatifs, les enseignants doivent être considérés comme des cadres dans leur statut. Cela suppose qu’ils soient impliqués, responsables et soutenus. Des cadres considérés doivent être mieux rémunérés (…) Il faut aussi les rémunérer plus justement et récompenser ceux qui s’engagent le plus(…) La formation professionnelle est l’unique moyen pour donner envie aux enseignants d’exprimer en actes créatifs la haute idée qu’ils se font de leur mission en mettant fin à l’évaluation actuelle qui génère infantilisation et passivité.

(…)

À l’heure où un économiste révèle que la ségrégation sociale dans les collèges atteint des sommets inacceptables [3][3]Thomas Piketty, Le Monde, 6 septembre 2016., il faut absolument s’assurer du concours impératif des collectivités territoriales et de leurs élus, pour aller vers une réelle mixité sociale, condition même de l’égalité et de la réussite scolaire.

Une approche plus locale exige également une forte déconcentration des affectations et de la gestion des ressources humaines de plus de 800 000 enseignants. (…) Cette logique impose de conférer le pouvoir de choisir l’affectation de l’enseignant à celui qui a l’expertise pour ce faire au niveau où les besoins éducatifs sont le mieux identifiés. (…) Cela fait des années que l’État tente sans grand succès de revaloriser un enseignement professionnel dont l’image reste toujours aussi dégradée alors même qu’il attire un nombre important de jeunes (25 % des bacheliers sont issus de l’enseignement professionnel). Une cohérence retrouvée autour de l’investissement massif des régions lui donnerait peut-être les couleurs de la réussite !

L’article sur Cairn

Bon. Un cheval de bataille de madame Belloubet semble être la décentralisation. Son propos contient par ailleurs explicitement quelques source d’espoir quant aux orientations de récentes en politique éducative. Que vient-elle faire là si elle n’a aucune marge de manoeuvre, comme j’ai pu le lire ? Elle semble, par son histoire personnelle, être une femme engagée et déterminée. Lui a-t-on assuré une existence possible en tant que ministre, et pas seulement de pantin ?

Allez, pour ma part, j’espère.

Le picto “espoir” d’Arsaac
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Composition du gouvernement et ascenseur émotionnel

Alors, je résume.

On nous dit : “Non non non, madame Oudéa-Castera a toute la confiance du président de la république et elle restera”. Nous, on pense “Quoiiiiiiii ? Avec plus de casseroles qu’au rayon cuisine d’un supermarché, elle reste ???? Après plus de boulettes que dans une fournée de dangos, elle demeure ministre ?”

Le temps passe. Les révélations de Mediapart et d’autres se poursuivent. La résignation gagne. Et puis on nous annonce que bientôt les membres manquant du gouvernement vont être nommés. On attend que le logement, le handicap, et bien d’autres redeviennent des sujets officiels…

D’un coup, paf, la complétion du gouvernement n’est plus nommée ainsi : voilà que sans prévenir c’est devenu un remaniement ministériel. “Aaaaaaaah”, nous disons-nous fort pertinemment, “l’espoir renaît : allons-nous changer de ministre ? Voir des projets absurdes abandonnés ?” Ouhla, c’est bien d’être optimistes, mais faut peut-être pas pousser, messieurs-dames.

On nous parle de monsieur Bayrou pour remplacer madame Oudéa-Castera. “Ah bin ça alors”, pensons-nous, “v’là aut’chose”. Et c’est alors que se produit une première chose effarante : dans ma tête à moi, au gré des annonces médiatiques, j’ai entendu : “Après tout pourquoi pas, ce sera peut-être moins pire, non ?”

“Mais qu’est-ce que tu te racontes, là ???” intervient une autre partie de mon cerveau.

Pire : aujourd’hui, monsieur Bayrou décide qu’il n’ira pas, parce qu’il est trop en désaccord, ou pas assez en accord avec les chefs, bon, bref. En tout cas, il donne l’impression de ne pas vouloir se plier à une vision des choses qu’il n’approuve pas. Ouahouuuuuuuuu, ça n’est pas bon signe du tout du tout sur les orientations à venir en termes de politique éducative.

Ca fatigue, tout ça.

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Ensemble, à tous les niveaux !

Un article du Monde d’hier m’avait évoqué cette réaction, qui d’ailleurs a déclenché de nombreux retours positifs. Merci, c’est vraiment réconfortant. Ce qui l’est moins, ce sont d’autres réactions, comme cette vidéo réalisée par une professeure des écoles, Emilie, alias Une Meuf Zepo. Elle limite son compte et je n’arrive plus à accéder à cette vidéo directement pour l’intégrer dans cet article, mais elle explique, dans sa vidéo, sa propre souffrance face à l’accueil d’élèves en situation de handicap. Elle affirme que tous les élèves ont droit à l’école de tout le monde, que l’école elle-même est en grande souffrance.

Plusieurs éléments me gênent, cependant, dans le discours de la collègue. Pour ce qui est du fond, le plus important est qu’on peut penser qu’elle remet explicitement en cause le principe d’inclusion. Si c’est le cas, je ne peux pas être d’accord. Le hashtag “alerte inclusion” n’est pas pertinent dans cette formulation. Je crois que c’est ce choix de hashtag qui a le plus heurté.

Ensuite, il n’est finalement pas vraiment question de la souffrance des élèves. La collègue parle de sa souffrance, c’est là le centre (respectable) de son intervention. Dire que les premiers à pâtir de l’inclusion sont les élèves, c’est un propos tout fait qu’on avance pour se dédouaner, un prétexte pour dire non à l’inclusion en se rassurant quant à ses valeurs humanistes. J’ai développé ce point dans mon article précédent : la véritable violence n’est pas l’inclusion elle même, même si le manque de moyens rend la vie de la classe parfois difficile, c’est vrai. Il faut préserver le principe d’inclusion. Ce qui est violent, c’est d’affirmer institutionnellement ce principe sans donner les moyens nécessaires de l’assurer décemment et dignement.

Cela étant, cette collègue exprime son ressenti et il faut l’écouter. Sa vidéo a déclenché de nombreux soutiens et ce n’est pas par hasard : il y a une véritable souffrance, de collègues épuisés, démunis et qui ne peuvent pas exercer leur métier, faire réussir leurs élèves comme ils le voudraient. De nombreuses autres voix se sont élevées en opposition. La plupart du temps les parents et les collègues ont simplement exprimé leur désaccord, argumenté et dit la façon dont ils ont été choqués, ce qui est tout à fait légitime. Mais j’ai lu des réponses explicitement agressives. Alors au lieu d’insulter cette collègue, de nous diviser encore, posons-nous, écoutons-nous. Le choix de son hashtag est maladroit, sans doute. Comme beaucoup, il m’a agressée. Peut-être est-ce provocateur, peut-être involontairement maladroit, peut-être voulait-elle un électrochoc (à mon sens contreproductif). Et puis peut-être pas : on peut aussi l’interpréter comme un appel à aménager autrement l’inclusion. Ce pourrait être “alerte : on n’a pas les conditions favorables pour assurer une inclusion de qualité”. Dans son discours ce n’est pas clair, et c’est ce qui est embêtant : chacun d’entre nous plaque son ressenti, son expérience, ses blessures.

Mais de toutes façons nous sommes adultes ; passons au-delà de cette étiquette et mettons-nous à la place de la collègue, des collègues qui ressentent la même chose. Les enseignants du premier degré reçoivent dans les écoles beaucoup plus d’enfants en situation de handicap qu’avant. Ils sont toute la journée avec les élèves ; c’est très différent du second degré, dans lequel nous travaillons avec les élèves au maximum deux heures par jour. L’épuisement est réel. Il peut provoquer des réactions malavisées, épidermiques, et nous le savons tous car cela nous concerne tous à un moment où à un autre. Je ne sais pas dans quelle catégorie prend place la réaction d’Emilie. Ce qui est certain, c’est qu’elle fait exactement ce que j’appelais à ne pas faire : elle se trompe de combat et oeuvre à une aggravation du déchirement de la société. Ceux qui l’agressent aussi. Nous pouvons exprimer notre propos de façon apaisée et communiquer. En nous divisant, nous ne résoudrons rien. Nous ne ferons que contempler des querelles qui doivent ravir nos gouvernants. Car c’est à eux que nous devons faire face. Les enfants, nous avons à les accueillir.

Et puis quand bien même les désaccords seraient profonds entre nous… Nous qui affirmons haut et fort le principe d’éducabilité, il vaut aussi pour les adultes… Ecoutons-nous, respectons-nous, luttons ensemble et incluons. Ce ne sera ni facile ni immédiat. Mais c’est crucial.