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Le scepticisme, qualité mathématique

En route pour un séminaire à Poitiers, j’ai profité du train pour lire. J’avais glissé dans mon sac deux livres, un « livre de matheux » et un « livre normal ». J’ai commencé par le livre de matheux. Il s’agit en fait d’un tout petit ouvrage intitulé Les mathématiques sont la poésie des sciences, qui retranscrit une conférence de Cédric Villani, en mars 2013 à Namur. Le titre est une citation de Senghor.images

L’introduction reprend l’intervention d’Elisa Brune. Elle s’achève sur ces mots :

« Elles (les mathématiques) peuvent aussi gambader en pleine liberté, dans des espaces à trente-six dimensions, dans des nombres imaginaires, et personne ne leur demande de répondre à une expérience faite en laboratoire. 

Pour passer la parole à Cédric Villani, je dirais des mathématiques qu’elles sont la science la plus libre. »

Au début de son intervention, Cédric Villani revient sur certains principes fondamentaux chers aux mathématiciens : le scepticisme a priori, le rejet des arguments d’autorité pour leur préférer la démonstration et le raisonnement logique (« Nul ne détient une parole plus forte que les autres »).

Dans la suite, Cédric Villani dit « Si les mathématiques étaient un art, parmi tous les arts possibles, ce pourrait être le design. En design, comme en mathématiques, on retrouve la même ambivalence, la même dualité – ou dialectique – entre l’harmonie,l’abstraction, l’esthétique et le devoir d’efficacité. (…) Étant partout autour de nous, comme les tables et le mobilier, les mathématiques sont envahissantes, mais elles se font oublier quand elles fonctionnent bien. »

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Ensuite, comme le titre de son intervention l’indique, il explore les liens entre mathématiques et poésie. Je suppose que selon le rapport de chacun aux mathématiques et à la poésie on est plus ou moins sensible à tel ou tel de ses arguments ; pour ma part, j’ai d’abord été touchée par le rapport au langage, à la poésie de mots en mathématiques.

J’ai aimé le parallèle tenté par Villani entre l’exercice des mathématiques et un poème de Tennyson, La dame de Shalott. Il explique qu’il aime imaginer « que c’est une allégorie du mathématicien, incapable d’appréhender le monde directement par des expériences comme le fait le mathématicien, et ne pouvant au contraire l’étudier qu’à travers son reflet dans le monde mathématique : les équations. » Cette idée et sa formulation me parlent. Voici un extrait d’une traduction du poème :

 

Là, elle tisse de nuit et de jour

Un tissu magique aux couleurs éclatantes,

Elle a entendu une rumeur dire

Qu’une malédiction s’abattrait sur elle si elle restait

A regarder en bas vers Camelot ;

Elle ne sait pas ce que peut être la malédiction

Et alors elle tisse encore plus.

Elle y voit le grand chemin à proximité

Descendant vers Camelot ;

Et parfois à travers le miroir bleu

Les chevaliers vont à cheval deux par deux.

Elle n’a pas de loyal et fidèle chevalier,

La Dame de Shallot

La suite du petit ouvrage est dans le style habituel de Cédric Villani : c’est agréable à lire, mais ce sont des propos qu’il a déjà tenus dans des ouvrages que j’ai lus ou des conférences auxquelles j’ai assisté. Il se cite d’ailleurs beaucoup lui-même de façon explicite, et tourne beaucoup autour de Poincaré, là aussi comme souvent. Mais la lecture demeure intéressante.