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De Gaulle, Tonton, Jacquot, Flanby et Manu sont dans un bateau…

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La vidéo du collégien appelant monsieur le Président de la République “Manu” a fait un peu de bruit ces derniers jours. Forcément, je suis allée la voir, après avoir entendu tout et son contraire. Analysons cette vidéo comme on le ferait en analyse de pratique, avec pour focale l’éducation. Je vais faire dans le diplomate, comme dans ma charte d’analyse de vidéo. C’est parti.

Les points forts :

  • “Non, je ne suis pas ton copain” est dit calmement et c’est la première réaction de l’adulte. Très bien, dans le fond et la forme : le message est simple et l’adulte montre qu’il est parfaitement sous contrôle. et puis il recadre de façon assez neutre ;
  • Monsieur le Président de la République ne rompt pas le dialogue et y revient. Ça, c’est bien : après la “sanction”, on renoue tout de suite le contact, en assumant ce qui a précédé. Mais ainsi on montre au jeune qu’on n’est pas en colère et qu’on ne lui en veut pas. Parce que justement il n’y a rien là de personnel, et parce qu’on accepte qu’il se trompe.
  • Il faut avoir de l’ambition : je suis d’accord sur le plan moral, et l’exemple de “ceux que tu es venu honorer aujourd’hui” est pertinent. En revanche on mélange deux types d’ambitions (j’y reviendrai) ;
  • Parler d’idéal, c’est bien. Cela va dans le sens de développer le projet personnel du jeune, rend légitimes l’espoir et la recherche d’une transformation personnelle qui toujours va vers le mieux, tout au long de sa vie. C’est vraiment bien, ça, et le message est fort et fondamental. En plus, cela montre que le président de la République a ce souci d’idéal. Cela va bien au-delà des diplômes, du protocole, et c’est en décalage d’ailleurs avec le reste ;
  • Une camarade de notre jeune apprenti rebelle crie “XXX, qu’est-ce que tu as fait comme connerie ?” et monsieur le Président de la République répond qu’on n’emploie pas ces mots-là, aussi calmement qu’au début. Très bien.

Ce qu’on pourrait améliorer :

  • A-t-on fait signer une autorisation d’utilisation de l’image à ce jeune et à ses parents ? Parce que là, il “s’est tapé l’affiche” et cela peut avoir des conséquences sur son attitude et son rapport à l’autorité. Un jeune qui se sent ridiculisé réagit rarement avec humilité et philosophie ;
  • Lorsque le jeune s’excuse (à peu près dans les règles) monsieur le Président de la République lui dit qu’il peut “faire l’imbécile”, mais pas aujourd’hui. Ça, c’est maladroit, pour deux raisons : d’abord, le mot “imbécile” est fort. Il juge de l’intelligence de l’autre. Grâce au “faire” juste avant, ça passe, mais ce n’est pas exemplaire. Il annonce le mépris qui va être exprimé peu après. Ensuite, monsieur le Président de la République semble développer et prendre un second souffle parce que le jeune s’excuse. C’est dommage : il aurait mieux valu développer avant, car sinon cela peut donner l’impression que l’adulte en remet une couche une fois qu’il sait qu’il a l’avantage. Monsieur le Président de la République a raison de développer, mais il aurait dû, à mon sens, le faire tout de suite. En même temps, tout va très vite ;
  • “Tu fais les choses dans le bon ordre. Si un jour tu veux faire la révolution, tu apprends d’abord à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même”. Oulala ! Je ne pense pas que ce jeune homme veuille forcément faire la révolution, déjà. Mais sait-on jamais : il ne faut pas se fier aux apparences, ni dans un sens, ni dans un autre. Ensuite, je ne vois pas en quoi avoir un diplôme rend meilleur. Ca rend plus probable de trouver un emploi, plus élevé le salaire, moindre le risque de précarité, mais c’est tout. Si l’on considère que l’intelligence est la capacité à s’adapter, ce n’est même pas un indicateur d’intelligence. Y aurait-il les Français qui valent la peine, ceux qui ont des diplômes, et puis les autres ? Et d’ailleurs à quel niveau de diplôme devient-on un interlocuteur valable ? Et à partir de quel niveau de diplôme a-t-on le droit de faire la révolution ? Il y a là un mépris apparent qui est très regrettable. Ce jeune a besoin qu’on lui explique des choses, c’est certain. Mais il n’en est pas moins, humainement, l’égal de monsieur le Président de la République. Évidemment socialement il y a une asymétrie très importante, mais même si le jeune homme a dérapé brièvement (il s’est excusé aussitôt), il ne mérite pas a priori un tel mépris. Il mérite qu’on l’éduque.
  • Dans le même ordre d’idée, avec l’histoire de la mention au DNB, montre-t-on ce dont on est capable par le scolaire ? J’aimerais que ce soit le cas, mais je vois tellement d’élèves qui se sentent prisonniers d’un carcan, écrasés par le poids du modèle attendu ou en révolte contre l’uniformisation qu’ils ressentent, que je ne suis pas sûre qu’une mention soit une condition ni nécessaire, ni suffisante pour “montrer ce dont on est capable”. En tout cas, avoir une mention au DNB et être un héros, ça n’a rien de rien de rien de comparable.

Ce qu’on aurait pu faire :

  • Demander qu’on coupe les caméras pour régler ça sans nuire à ce jeune homme ;
  • Au moment où le jeune s’excuse, lui faire formuler la raison pour laquelle il s’excuse, pour lui faire exprimer, et donc comprendre, pourquoi on ne s’adresse pas ainsi à son Président de la République ;
  • Éventuellement, lui faire reformuler ses excuses, si vraiment on est à cheval sur les principes ;
  • Ou alors au contraire, abréger : expliquer publiquement que l’attitude du jeune homme n’est pas appropriée, et pourquoi, mais de façon concise ; et continuer son chemin. Je ne suis pas totalement fan de cette solution, mais là on passe trop de temps sur ce qui n’en vaut peut-être pas la peine ;
  • Signaler à la jeune fille qu’elle ne se comporte pas non plus de façon adaptée, en déboulant en criant et en interrompant une discussion ;
  • Expliquer au jeune en quoi la fonction de Président de la République appelle le respect, en lui montrant qu’il ne s’agit pas simplement de manger des petits fours en allant serrer la pince ici ou là ; et pourquoi pas inviter ce jeune homme à venir voir par lui-même à l’Élysée ou ailleurs ? Cela pourrait même être médiatisé, cette fois, histoire de montrer qu’on est dans la communication (pas celle à paillettes, celle entre les vrais gens) et que le principe sur lequel on mise, c’est l’éducabilité.

Cela étant, la fonction présidentielle a du plomb dans l’aile, c’est un fait. Personne n’aurait appelé Charles de Gaulle Charlot ou Charlie… Pour la restaurer, il semble qu’on confonde autorité et autoritarisme. Pourtant, tout enseignant sait que l’autoritarisme, ça ne marche pas. Au mieux ça tétanise, en encore.