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Faire pousser des fleurs dans le désert

Hier, c’était l’oral de stage de Théo. J’ai parlé de Théo, ici.

Théo est un élève de 3e, qui bénéficie du dispositif ULIS. Il est très peu verbal : il parle avec parcimonie et très, très bas. Il chuchote, en fait. Parler est douloureux, pour lui, et vecteur d’anxiété. Il bénéficie du dispositif ULIS parce qu’il est en situation de handicap ; réussir à faire sortir ses mots, à poser sa parole, à libérer sa voix constituent un de ses champs de difficultés, mais il y en a d’autres.

L’article

La semaine dernière, Théo avait parlé pendant 3 minutes et 18 secondes. Depuis, tous les jours, j’ai continué de proposer un entraînement à Théo. Jeudi, Théo a parlé pendant 4 minutes 30 devant un de ses camarades et moi, et a répondu à des questions. Il ne se sentait même pas stressé. Il me l’a dit. Et il s’interrogeait sur ce qu’il allait porter, ce qui montrait qu’il était concerné, qu’il s’impliquait, lui, personnellement. Cela devenait enfin son projet.

Hier, c’était le grand jour. Je pense que nous étions tous les deux stressés (mais pour Théo c’était sans aucun doute plus douloureux, c’était de la peur plus que du stress), et que nous nous savions tous les deux évalués sur quelque chose d’important. Les chefs avaient accepté que je sois présente, comme soutien silencieux mais indéfectible, que l’épreuve se déroule dans la salle du dispositif ULIS, car Théo m’avait dit le souhaiter (c’est un lieu qui le rassure). Je craignais que Théo se défile. Il avait tellement peur, c’était tellement difficile pour lui. Mais Théo est arrivé, bien en avance. Théo m’a dit : “le papier que tu m’as écrit, je l’ai relu. Je l’ai relu 5 fois ce matin et 5 fois ce midi.” J’ai exprimé ma satisfaction que Théo agisse et travaille, et j’ai redit à Théo que je savais maintenant ce dont il est capable, que j’avais vu, entendu, et que même s’il ne réussissait pas aujourd’hui, cela ne changeait rien à cela. J’ai eu le temps de le rassurer encore, de l’encourager beaucoup, l’AESH a fait de même, et le collègue évaluateur est arrivé et a tout de suite eu un ton juste, simple, exigeant, bienveillant.

Théo s’est lancé. Il a parlé 4 minutes et 6 secondes. Il a pensé à tout. Il a même improvisé une nouveauté à partir d’un visuel du diapo projeté. Il a juste oublié de donner le plan, mais au vu de sa performance, ce n’est vraiment pas grand chose : ce n’était pas ce qui le mettait en difficulté. Il a parlé d’une voix plus audible que jamais auparavant. Ensuite, mon collègue lui a posé des questions et il a répondu. il avait retenu beaucoup de choses. Plus que ce que j’avais perçu.

Il y a eu des moments difficiles, et alors Théo plongeait son regard dans le mien. Il ne demandait rien, je crois. Il cherchait sans doute juste une assurance que rien ne changeait, que j’étais là. Je suis restée tranquille, sans gigoter (ce qui est difficile pour moi), à essayer de conserver un sourire monalisesque.

Quand Théo a terminé, mon collègue l’a félicité, à la hauteur de son exploit. Il l’a encouragé dans son projet professionnel, a loué ses progrès, et nous l’avons libéré. Je lui ai dit, en le raccompagnant, comme il pouvait, comme il devait être fier de lui. Plus tard, j’ai envoyé un message à sa famille, pour redire tout cela. La réponse m’a montré que sa famille était fière également.

En revenant dans la salle du dispositif, et après les deux autres oraux que nous devions faire passer, mon collègue m’a dit : “Je l’ai depuis quatre ans, Théo. Je n’ai jamais entendu le son de sa voix. En plus, je dois représenter à peu près tout ce qu’il n’aime pas. Et là, il a fait son oral, il a réussi, et c’était vraiment bien. J’imagine même pas le nombre d’heures que tu as dû passer pour l’amener là. Ton boulot en fait, c’est faire pousser des fleurs dans le désert. Franchement, chapeau”.

Déjà que j’avais dû retenir mes émotions avant, là, c’était coton. Mais bon, j’ai des apparences à préserver, alors au lieu de fondre en larmes, je nous ai préparé un petit café et j’ai sorti le chocolat. On a papoté.

Maintenant, il faut préparer la suite pour Théo. parce que cette étape franchie c’est super, mais c’est un projet de vie qu’il y a, à réaliser.

3 thoughts on “Faire pousser des fleurs dans le désert

  1. Rholala j’en ai les larmes aux yeux. C’est beau. Bravo à Théo et bravo à la jardinière du désert.

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