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Ma coiffeuse et les maths

Ma coiffeuse, c’est une personne très intéressante. Elle parle peu, seulement après réflexion, mais quand elle parle, c’est parce qu’elle a des choses à dire. Hier, elle m’a parlé de son rapport aux maths. C’était intéressant, car cela m’a renvoyée aux débats actuels sur l’appétence pour les maths et les langages des mathématiques.

Appelons ma coiffeuse madame B. En fait j’ignore comment elle s’appelle, mais ce sera plus pratique.

Madame B a eu un rapport douloureux en maths. Elle s’en souvient, plusieurs dizainesUnknown d’années plus tard, comme d’une humiliation : “quand on ne comprend pas les maths, on se dit qu’on est bête. Ceux qui comprennent ont l’air de faire ça si simplement, et ils disent “mais enfin comment tu ne comprends pas ça???” “. Pour madame B, le problème des profs de maths qu’elle a rencontrés est qu’ils étaient “trop forts” pour pouvoir expliquer. Pour eux, tout était trop évident. Elle aurait voulu davantage de pédagogie, qu’on l’entoure, qu’on la rassure. Elle a trouvé que ses profs étaient des personnes sympathiques et gentilles, mais elle s’est sentie exclue.

Lorsque j’ai demandé à madame B pourquoi il était plus humiliant de ne pas réussir en maths que dans une autre discipline, elle m’a répondu deux choses :

  • les maths, ça montre comment on raisonne. Et on aimerait qu’on nous dise qu’on raisonne bien ;
  • dans les autres disciplines, il y a toujours des moyens de contourner une difficulté. On peut faire appel à des exemples, trouver d’autres façons d’exprimer ou de représenter les choses, et le sentiment d’impasse n’existe pas, alors qu’en maths si.

En approfondissant, madame B a fini par formuler que les maths ont un langage particulier, et que les reformulations y sont moins aisées, parce que souvent inadaptées ou peu rigoureuses. Elle s’est donc sentie enfermée dans des démarches exclusives. Et puis elle explique aussi que les maths sont une discipline de l’abstraction et de la généralisation, et elle ne se sent à l’aise ni avec l’un, ni avec l’autre : elle a besoin de concret, et n’en a pas rencontré assez à l’école en maths, et préfère les exemples aux généralités, peut-être par manque de confiance en elle, peut-être à cause d’un entraînement insuffisant du point de vue hypothético-déductif, peut-être justement en raison du côté abstrait des notions et des concepts engagés.

En peu d’arguments j’ai pu lui montrer, à madame B, qu’elle avait des compétences pour le raisonnement. Sinon elle ne ferait pas aussi bien son métier de coiffeuse, et elle n’exprimerait pas tout ça avec autant de recul, de réflexivité, d’ouverture d’esprit. Elle en a formulé, hier, des conjectures, des implications, des généralisations. Elle a usé de contre-exemples, mais n’a jamais affirmé par l’exemple. C’est d’ailleurs d’avoir réfléchi à tout cela qui lui a permis d’éviter à ses enfants de souffrir comme elle en maths. Elle a dialogué avec les enseignants alors, avec ses enfants aussi, et ils ont surmonté des situations mal engagées. Sa conclusion était que l’effet enseignant est terriblement puissant, d’ailleurs.

Aller chez le coiffeur est un grand plaisir pour moi, parce que c’est un luxe, un moment où je perds inutilement du temps. Cela me fait un bien fou. Mais avec madame B, c’est en plus intéressant.