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Langage et mathématiques

Sur Images des mathématiques, site du CNRS, vous pourrez lire le feuilleton de l’été, intitulé mathématiques et langage. Des articles courts, accessibles et intéressants le composent. Cette série de textes a été écrite par des scientifiques d’horizons divers à l’occasion du Forum Mathématiques vivantes en mars 2017). On y parle enseignement des maths, recherche, informatique, linguistique, histoire ou philosophie. Mon préféré est ici,mais le mieux est de tous les lire !

Quelques extraits :

Depuis la fin du XVIe, les textes mathématiques passent d’une écriture en langue commune à une écriture de plus en plus symbolique et les mathématiques actuelles ne se parlent pas mais s’écrivent. Preuve en est le combat des mathématicien-ne-s dans les universités ou laboratoires de recherche pour disposer de tableaux, en l’absence desquels ils sont incapables de communiquer ! Cette écriture mathématique est extrêmement synthétique mais elle permet d’énoncer les résultats et de présenter les démonstrations à la fois sur un volume de pages écrites qui reste raisonnable et avec la précision nécessaire à une démarche totalement formalisée. On écrira par exemple :

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au lieu de « la racine carrée de l’inverse du carré de tout nombre réel non nul est égale à l’inverse de la valeur absolue de ce nombre ». Les mathématicien-ne-s du monde entier comprendront le premier énoncé et seul-e-s les francophones comprendront le deuxième. Nous avons donc là un langage universel.

Bertrand Jouve

Dans le premier {point de vue}, les mathématiques ne seraient qu’un jeu qui manipule des mots en respectant une grammaire rigide. Hilbert, au début du vingtième siècle, affirmait qu’on pouvait changer les mots « point, droite, plan » et les remplacer par « table, chaise, verre de bière » et que les théorèmes selon lesquels « par deux tables passe une chaise » et que « l’intersection de deux verres de bière est une chaise » seraient tout à fait justifiés. D’ailleurs, sans aller jusque là, la géométrie moderne utilise des objets appelés « immeubles, appartements et chambres » qui ont des propriétés étranges, telles par exemple que « par deux chambres passe au moins un appartement ».

Étienne Ghys

L’image des mathématiques comme une merveilleuse construction humaine ne me paraît pas diminuer leur importance et leur valeur, au contraire.

Jean-Pierre Kahane

 

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Tâches complexes et évaluation

Pourquoi, quand, comment évaluer des tâches complexes ? En voilà une bonne question, encore. Je commence en ajoutant une question.

Quoi ?

Tout d’abord, ma définition d’une tâche complexe. Je résous une tâche complexe, comme je mange un fraisier : il y a des tas d’ingrédients différents dedans, qui se complètent pour être au final envisagés ensemble, mais dont il faut profiter aussi indépendamment pour bien tout comprendre dans sa globalité. Si je ne mange pas les fraises, je n’ai pas résolu ma tâche complexe. Autrement dit, une tâche complexe mobilise des savoirs et des savoir-faire différents pour sa résolution, qui ne sont pas explicitement indiqués. Une même consigne peut ou pas être développée sus forme de tâche complexe, selon qu’on fait figurer des indications intermédiaires ou pas.

Unknown

Une tâche complexe n’est pas forcément un problème ouvert : un problème ouvert doit donner la possibilité de plusieurs méthodes. Une tâche complexe, pas forcément.

Pourquoi ?

Parce que la vie en soi est une succession de tâches complexes, et que faire des maths, c’est apprendre à résoudre des problèmes. Parce que réfléchir à tâche complexe permet de mobiliser plein plein de savoirs et de compétences. Et aussi parce que c’est souvent plus rigolo et plus motivant que de calculer pour la douzième fois la longueur d’un côté d’un triangle.

Quand ?

Tout le temps. Je ne propose pas de tâche complexe non évaluée. En revanche, la nature de ce que j’évalue peut varier : ce peut être savoir collaborer pour résoudre un problème, structure un raisonnement, identifier des sous-problèmes, ou mettre en oeuvre des techniques mathématique, mobiliser des savoirs (qui ne seront pas forcément les mêmes pour chaque élève, sur une même tâche complexe, si elle est ouverte).

Du coup, je vois à cette question une sous-question : quand proposer une tâche complexe ?

Je répondrai : dès qu’on le peut. Pour ma part, nous pouvons très bien résoudre deux tâches complexes d’affilée, sur deux heures consécutives. Ces tâches ne sont pas régulières, car une partie est prévue dans ma programmation, mais j’agis souvent à l’instinct, de façon spontanée. J’en proposerai une, par exemple, si un élément d’actualité me donne une idée, si je croise sur un blog une proposition qui me plaît ou qui m’intrigue, si un élève m’apporte un problème, ou aussi, souvent, si les élèves sont énervés par la fatigue, l’heure ou un élément extérieur. Je trouve plus facile de les canaliser par une tâche complexe avec une part de recherche collective, en fait. Attiser leur curiosité et leur permettre de travailler avec un degré (relatif) de liberté et de communiquer me renvoie un bilan plus positif, une mesure de travail de chacun plus élevée.

Comment ?

Je me rends bien compte que mes réponses sont affreusement normandes (en même temps c’est logique), mais tout dépend (de la tâche elle-même, de si elle était prévue ou pas, etc.) : je préviens ou pas, et cela peut durer une demi-heure comme deux heures… En revanche, je précise toujours au départ ce que j’attends, et ces attendus sont écrits, souvent sur un document distribué, au pire au tableau. A minima, je ramasserai un brouillon qui doit me permettre de comprendre la démarche (que nous reprendrons individuellement ou collectivement pour structurer et mettre en forme), et souvent je demande une proposition de résolution, mais toujours avec le brouillon. Parfois je filme, régulièrement j’enregistre les échanges des groupes. Avec tous ces éléments, j’ai la possibilité de vraiment comprendre leur façon de raisonner, de communiquer, leurs représentations mentales et la qualité de ce qu’ils ont produit, en attribuant à chacun ce qui lui revient, même si la recherche a été collective.

 

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Antibi dans ma classe

Une collègue m’a interrogée sur mon rapport à la méthode Antibi, après que j’ai émis des réserves. Je lui ai répondu et voici ma réponse. j’aimerais bien des avis de ceux d’entre vous qui ont testé la méthode en classe sur une durée significative.

Lorsque j’ai découvert la méthode Antibi, j’ai été séduite. J’ai lu pas mal, écouté et assisté à des conférences, et je me suis lancée. À l’époque j’enseignais dans un ECLAIR, et j’avais beaucoup d’élèves en grande difficulté, souvent passifs en début d’année devant les évaluations. Je me disais que peut-être cela les motiverait.
En fait, j’ai pu remarquer plusieurs choses :

  • L’évaluation par contrat de confiance fonctionne difficilement, en tout cas pas naturellement pour moi, sur des tâches complexes et des problèmes ouverts ;
  • Le fait de savoir qu’ils allaient être interrogés sur des tâches réalisées en classe ne les amenait pas (du tout) à apprendre lesdites tâches par cœur. Tant mieux, ce n’était pas le but. Mais ils n’étaient pas plus intéressés par les séances de classe (flûte) ;
  • Une partie des élèves en difficultés ne voyait pas du tout le rapport avec ce qui avait été travaillé en classe (zut) ;
  • Une autre partie (et non des moindres) de mes élèves avait trouvé le principe chouette au départ, car sécurisant, explicite, prévisible, mais assez rapidement ils n’ont plus apprécié, et me l’ont dit : ils trouvaient que c’était moins motivant pour eux. En effet, je fonctionne beaucoup à la motivation par le challenge, par le dépassement de soi, quel que soit le niveau de départ. Or là on ne se dépasse pas dans une partie de l’évaluation, et beaucoup d’élèves, y compris en difficulté, ont eu l’impression de s’ennuyer, et, pire, de ne pas progresser comme ils l’auraient pu.

Cependant, il faut aussi relativiser. D’abord, ce n’est parce que ces élèves avaient une telle impression qu’elle était vraie. Ensuite, moi-même, j’ai une espèce de frénésie de ce qui pétille, qui sautille, qui surprend. Et j’enseigne ainsi. Je crois que la méthode Antibi n’est juste pas faite pour mon enseignement : au fond, avant même de la mettre en œuvre je ressentais le principe comme répétitif, avec une connotation négative. En tant qu’élève, je n’aurais pas aimé, je crois. Cela n’en fait pas une mauvaise méthode, c’est évident, et je suis bien persuadée de son efficacité lorsqu’elle est mise en place par des collègues qui savent le faire bien. Ce n’est pas mon cas.

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Cela dit, j’en ai conservé des pratiques pédagogiques, qui sont des conséquences directes de mes essais :

  • J’ai pris conscience de la “constante macabre”. Je trouve cette prise de conscience fondamentale pour tout enseignant ;
  • Je propose des évaluations par contrat de confiance à certains élèves sur une partie de l’année. Ils n’ont pas le même sujet que les autres, tout le monde le sait, mais tout le monde sait aussi que c’est pour les faire progresser. Je ne vois pas l’intérêt de proposer à un élève une évaluation qu’il n’a pas la possibilité de réaliser. Et ça justement c’est résolu par Antibi. Comme je ne mets pas de notes, il n’y a pas de frein exécutif : un élève qui réussira un exercice qui reprend ce que nous avons fait en classe n’aura pas vert-vert, par exemple, mais juste vert, ce qui correspond au niveau attendu pour valider les LSU. L’élève et ses parents savent que c’est une rampe de lancement : après une période donnée je passe à une évaluation “mixte”, pour finir par lui proposer du “comme tout le monde”, à un niveau donné (puisque de toute façon je ne propose pas le même niveau d’évaluation à l’ensemble des élèves). Ça, ça fonctionne vraiment bien ;
  • Parfois (une à deux fois dans l’année) je propose une évaluation Antibi. Souvent, c’est aux moments creux, comme avant Noël, où les gamins sont épuisés. Ou alors lorsqu’ils sont assommés d’évaluations parce que le conseil arrive. Comme mes dates sont prévues depuis longtemps (une évaluation par mois), je ne peux pas forcément déplacer. Ou bien encore je leur propose cela si nous avons travaillé sur un thème ardu pour eux. Par exemple cette année j’ai procédé ainsi en 5ème pour l’initiation à la démonstration. Et plus tard les élèves ont été évalués sur leur capacité à transposer les méthodes dans des situations plus inédites ;
  • Sans doute aussi est-ce Antibi qui m’a permis tôt dans ma carrière de systématiser les bilans pré-évaluations, à un moment où il était moins question d’enseignement explicite : les élèves savent sur quels savoirs et quelles compétences ils vont être testés, nous co-construisons la plupart du temps ces bilans et les élèves s’auto-évaluent.

Autrement dit, comme souvent, j’ai pris ce qui me correspond et ce que je sais mettre en oeuvre. Ce qui est certain, c’est que découvrir la méthode Antibi m’a fait évoluer de façon vraiment importante, et que des nombreuses années plus tard j’ai intégré ces évolutions de façon définitives à mon enseignement et à ma philosophie de l’enseignement. D’ailleurs à l’ESPE je fais découvrir du mieux que je peux les apports d’Antibi, et je pense que cela devrait être largement diffusé. Libre ensuite à chacun de se faire son opinion, de s’approprier ou pas tel ou tel aspect, mais au moins c’est une base riche pour réfléchir et tout le monde a quelque chose à en apprendre.

Enfin, mes essais et mes lectures m’ont permis de découvrir à l’époque comme les oppositions entre enseignants, pédagogues, didacticiens, pouvaient être violentes et même révoltantes. Et ça, ça m’a permis de me protéger plus tard, en tant que formatrice pour la réforme du collège, par exemple. C’est toujours mieux de savoir à quoi on peut s’attendre et jusqu’où les gens peuvent aller. On fait mieux face et on reste en équilibre, tranquillement.