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Comprendre la dyspraxie et la dysgraphie développementale

Encore un cours qui va vous intéresser, de nouveau signé Tiffanie Dujardin. Prêts ? C’est du résumé, et tout à fait subjectif : je sélectionne les informations en fonction de mes besoins.

Une praxie est un mouvement qui n’est pas inné, qui nécessité un apprentissage. La marche est une praxie, par exemple, comme monter des marches ou faire du vélo. Certaines demandent de la motricité fine (manipuler un stylo, déglutir, positionner sa langue correctement pour manger, parler, orienter son regard…), d’autres de la motricité globale (marcher, taper dans un ballon, …). L’enfant, en explorant le monde, acquiert ses premières connaissances par sa sensorialité et sa motricité. Il passe de mouvements à des gestes (des mouvements dirigés), et une praxie est un ensemble de mouvements. Selon Piaget, c’est l’action qui permet à l’intelligence de se construire.

Homonculus : schéma indiquant la connectivité neuronale de chaque partie du corps dans le cerveau.

Quand on voit la taille des mains de l’homonculus, on comprend que la dyspraxie est un trouble très gênant. Un dyspraxique n’a pas les bonnes praxies. Une personne dyspraxique a besoin d’aide pour savoir quoi regarder, à quelle moment et comment faire, quelles étapes suivre. C’est ce que Piaget appelle les schèmes, des unités qui peuvent être communes avec d’autres praxies. Chez une personne qui a des difficultés sensori-motrices, ces acquisitions ne se font pas de façon fluide, rapide ni évidente.

Il n’y a pas que le geste qui compte : il y a le geste dans l’espace, mais aussi le geste incarné, c’est-à-dire l’adaptation du geste à la situation. Par exemple, on adapte la force portée sur une poignée de porte, en principe, ou bien on penche la carafe en fonction de la taille du verre. Tout cela se désigne par la maladresse, mais la maladresse est un résultat, par une cause.

En tous cas, un étayage verbal peut aider pour faire prendre conscience de tout ce qui touche à ce mouvement, pour réussir à focaliser son attention sur des éléments importants constitutifs du geste.

La dyspraxie est, du point de vue des classifications internationales, un trouble de l’acquisition et de la coordination et un trouble spécifique du développement moteur, avec un trouble spécifique de la planification et/ou de la coordination des mouvements qui sont nécessaires pour réaliser une action nouvelle, orientée vers un but précis.

D’autres troubles peuvent créer des besoins similaires à ceux de la dyspraxie. C’est ce qui compte, d’ailleurs, les besoins, pour nous. Tiffanie Dujardin nous a dit très joliment :

Entrer par les besoins permet de penser la pluralité des gens, mais aussi la communauté : des troubles différents se croisent par certains besoins communs.

J’aime beaucoup, beaucoup cette idée, et la formulation me paraît très claire.

Une personne dyspraxique a, entre autres, des troubles de l’orientation de l’espace : savoir ce qui est à gauche, devant, etc., différencier un trait oblique, horizontal ou vertical, lire un plan ou se repérer sur une carte, prendre des mesures, tracer des figures géométriques, poser des opérations bien tout comme on l’attend, écrire des nombres en chiffres dans notre système positionnel, tout cela est difficile pour elle.

La dysgraphie est une dyspraxie. Il en existe plusieurs types : il peut s’agir d’une dysgraphie visuo-spatiale (repérage dans l’espace), une dysgraphie due à un problème de coordination motrice (problème d’accord entre la vision et la motricité), une dysgraphie du à un problème de planification motrice (problème de séquence de gestes). Les élèves dysgraphiques ont besoin de bouger pour détendre leurs muscles douloureux (de la main au poignet, jusqu’au bras et au dos). Ecrire sur un pupitre incliné peut être intéressant pour eux car le geste n’est plus le même.

Dans la dysgraphie et de façon plus générale la dyspraxie, la rééducation corrige et développe des moyens de contournement, de concert, sur un temps assez long. Mais on ne peut pas résoudre toutes les difficultés. Comme il n’ a a priori pas de trouble de la mémoire de travail, on s’appuie beaucoup dessus.

Côté aménagements, on peut accompagner tout geste par des verbalisations, éviter ou accompagner la manipulation, éviter le dénombrement et plutôt compter en repérant les éléments de constellations, poser les opérations en ligne, etc.

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Géométrie et fonctions exécutives

La semaine dernière, je suis allée à Strasbourg. Les organisateurs et organisatrices de la journée IREM-labo maths m’avaient fait l’honneur de me proposer d’ouvrir la journée par une conférence, que j’ai choisie sur la géométrie. J’ai donc parlé des élèves du dispositif ULIS que je coordonne, de ce que la géométrie leur apporte, dans une approche interdisciplinaire, car en tant que coordo je dois leur enseigner des éléments de toutes les disciplines. J’avais bien travaillé mon contenu, et j’ai animé cette conférence avec joie, face à un public vraiment très accueillant, pertinent et sympathique.

L’après-midi, je proposais un atelier, en lien avec la conférence, donc sur la géométrie. J’ai reçu des retours positifs de la part de collègues, et en plus les observations que j’ai pu réaliser ont été passionnantes. Je vous raconte.

L’atelier consistait en de la déconstruction de figure, en fait : les collègues disposaient d’une figure, colorée en bleu, ressemblant vaguement à une enveloppe irrégulière dont le « rabat » est coloré en bleu aussi, mais plus opaque. L’objectif annoncé était de trouver le protocole de construction de la figure. Mon véritable objectif était de placer les collègues dans la même situation que ce que vivent quotidiennement les élèves. Le dessin que j’ai proposé est celui de la personne qui m’a initiée à cet exercice précis ; malheureusement je ne me souviens plus du nom de l’auteure, et je m’en excuse auprès d’elle. Je pratique aussi cette activité avec des élèves, de n’importe quel niveau, mais avec d’autres figures et sans les contraintes énoncées plus bas ; celle-ci, c’est la figure « adulte ». Pour les élèves, j’aménage avec un parcours de figures de plus en plus complexes, un étayage fort au début, et une régularité qui permet l’engagement. Dès que j’aurai retrouvé mes fichiers, je mettrai d’ailleurs tout cela en ligne sur mon blog.

J’ai expliqué aux collègues que l’exercice allait être vraiment difficile. J’ai mentionné la présence de relations à trouver entre objets géométriques, et prévenu qu’une fois qu’un collègue avait une conjecture, il pouvait se signaler pour que je lui donne un autre dessin de la même figure, c’est-à-dire une variation de forme, mais dans laquelle les relations entre éléments demeurent les mêmes. Par exemple, si vous pensez à un triangle, les images mentales que vous avez en tête sont différentes, mais pour vous toutes et tous il s’agit bien d’un triangle : trois points reliés par des segments. Les voilà, les relations entre objets, mais l’exécution peut différer.

Pour enquiquiner un peu les collègues, et encombrer leur mémoire de travail, j’ai ajouté une contrainte : un tiers des personnes présentes pouvaient seulement tracer, mais ne devaient pas parler entre elles. Elles pouvaient se montrer des choses, c’est tout. Un autre tiers pouvait parler, et c’est tout : ni tracer, ni plier, ni se servir de son doigt pour montrer, ni poser une règle, rien de rien. Le reste des collègues pouvait seulement plier, et en silence s’il vous plaît. Plier, c’est un geste pratique, utile et simple, en géométrie, mais aussi très sous-employé.

Très, très peu de collègues ont trouvé la solution. C’est normal, c’est fait pour. Mais nous avons pu, ensemble, réfléchir aux obstacles, aux leviers. Parmi les retours que je savais déjà pouvoir leur faire, il y a d’une part le fait que la figure est bleue, et qu’elle mobilise donc dans notre cerveau la « vision surface ». Or pour démontrer en général ou déconstruire une figure en particulier, et précisément déconstruire celle-ci, nous avons davantage besoin d’une « vision-lignes » ou d’une « vision-points », développées plus tardivement dans notre vie d’élève. Dans le cas de notre pseudo-enveloppe bleue, les deux relations étaient l’alignement et la perpendicularité. D’autre part, la partie plus opaque suggère implicitement qu’elle provient d’une superposition. Cette analyse, consciente ou pas, emmène vers une fausse piste, en amenant à prolonger des lignes hors de la partie bleue. Mais ce qui m’a le plus intéressé relève d’autre chose, et je pense que c’est en lien avec mon nouveau métier.

Les collègues se sont trouvés devant un dessin qui leur semblait simple, une consigne pas complexe mais un peu vague, en particulier en termes d’autorisés et d’interdits, et une réelle difficulté. Tous les éléments étaient réunis pour que naisse ce sentiment tellement familier aux élèves : la frustration ; frustration de ne pas réussir (alors qu’on est prof de maths, qui plus est), pour certaines et certains de ne pas être tout à fait sûrs de faire ce qui est attendu, frustration de ne pas pouvoir faire tout ce qu’on voudrait (qu’on soit traceur, plieur ou parleur, il nous manque quelque chose qui nous paraît constituer la clef de la réussite). Mais, perfidement, parce que je suis formatrice, j’avais aussi instillé des éléments qui permettraient d’éviter le rejet : une relation interpersonnelle joyeuse et bienveillante entre les collègues et moi, la promesse (tenue, j’espère) d’apprendre des choses, et le défi. Alors les collègues ont persisté, ont tenu bon, et ont même respecté les consignes. Mais même si « c’est pour rire », j’ai entendu des « elle est relou ta figure », « je vais pleurer » ou « je vais tout casser ». J’ai donc fait observer et analyser ce sentiment aux collègues : une fois « bien » frustré, comment fait-on pour apprendre ? Pas si facile, de mettre en route un contrôle émotionnel efficace. Pas si facile non plus de faire preuve d’inhibition pile quand il faut et comment il faut.

J’avais une autre fonction exécutive en ligne de mire : la flexibilité. Pourquoi ne trouvons-nous pas facilement le programme de construction de cette figure, alors que nous sommes « bons en maths » et expérimentés ? Parce que nous fonctionnons à la fixette : une fois une intuition apparue, qu’il est difficile de la lâcher ! Avec en plus des consignes qui contiennent des interdits, c’est pire : il faut se concentrer en même temps sur ces consignes et sur l’objectif de la tâche, ce qui amène à des allers et retours permanents entre des « je fais » et des « je vérifie que j’ai le droit de faire ». En particulier, ici, prolonger des éléments du dessin en dehors de la partie bleue est un réflexe fréquent (que j’ai moi-même eu, mais voué à l’échec. Pourtant, cette idée peut donner l’impression qu’elle est la clef ; alors on l’aménage plutôt que de la mettre de côté. Et même quand on tente de la mettre de côté, on a tendance à y revenir. On manque de flexibilité, parce qu’on est le produit de notre histoire, de nos parcours mathématiques, de nos expériences professionnelles.

Pour nos élèves, c’est la même chose. Mais comme ils sont eux et que nous sommes nous, avec toutes les merveilleuses variations que cela implique, nous envisageons les choses différemment. Ce qui semble si simple côté prof peut être authentiquement tellement difficile côté élève… Alors cet atelier a, je l’espère, permis de prendre une conscience plus fine de tout ceci. En tout cas, ne l’oublions pas : on se trompe toujours pour une bonne raison, même quand on est un élève.

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Tenter l’aventure de l’enseignement spécialisé

Cher(e)s collègues normand(e)s, et chers autres (mais il faut vous renseigner par chez-vous), si vous avez envie de tenter l’aventure de l’enseignement spécialisé, d’être en même temps enseignant dans un dispositif d’éducation inclusive, de devenir expert de l’analyse des besoins éducatifs particuliers et de construire des réponses adaptées, d’être personne ressource auprès des collègues, familles, partenaires, etc., que vous avez soif de vous renouveler, de comprendre, d’élargir vos champs d’enseignement, de travailler encore plus en intermétier, de participer à des projets de vie sur un temps plus long, ET EN PLUS de bénéficier pour y parvenir d’une formation comme vous n’en avez jamais vue, qui va vous demander un sacré taf mais vous transformer, hé ben faut y aller :

Les personnels intéressés par la formation préparatoire au CAPPEI devront, dès la parution de la présente note :

  1. Constituer leur dossier de demande de départ en formation CAPPEI
  2. Transmettre à l’inspecteur du 2nd degré de référence et recueillir l’avis demandé
  3. Faire envoyer la fiche entièrement complétée par l’établissement d’exercice à l’EAFC

La fiche de candidature ci-jointe (annexe 1) devra être envoyée par l’établissement d’exercice avec comme date limite de réception par l’EAFC : le mercredi 10 avril 2024 à eafc@ac-normandie.fr

Des entretiens en visioconférence seront organisés entre 15 avril et le 19 avril 2024.

Je vous mets même ici les docs, allez. Parce que c’est un beau projet, central, crucial, humain, et que j’y suis tellement profondément bien que j’aimerais vous y amener.

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On le met dans quel groupe, le monsieur ?

Alors voilà ce sur quoi je tombe de bon matin : un député de la majorité présidentielle qui n’a pas bien révisé avant l’exposé.

C’est totalement lunaire :

Les groupes de niveau sont vraiment faire en sorte que les plus en difficulté puissent être accompagnés par les personnes aussi qui y arrivent plus facilement, qui ont des facilités par rapport aux autres…” (regard profondément perplexe du député RN en face) “… et puis d’accompagner ceux qui sont en difficulté avec des moyens complémentaires, du temps passé avec eux, parce que les enseignants vont pouvoir prendre plus de temps avec eux et laisser parfois ceux qui sont avec plus de facilités pas de côté, mais leur donner un travail seul, de pouvoir travailler dans leur coin et ça va leur permettre aussi d’évoluer dans le sens du travail personnel.

(intervention de la journaliste, qui met les pieds dans le plat) (…)

Certes on fait en sorte d’avoir des personnes un peu plus en difficulté avec ceux qui ont plus de facilités, parce que ça les mène vers le haut et que c’est important de travailler en équipe, et je crois que c’est important aussi de rappeler que ces groupes de niveau c’est un travail collectif que nous n’avions pas jusqu’à maintenant dans l’école et il est important de voir l’avenir avec un travail collectif et plus simplement une individualisation du système scolaire.”

J’aurais teeeeeellement de choses à dire, mais je vais me limiter à… disons 5 points :

  1. Il y a ceux qui sont “en difficulté”, et ceux qui “ont des facilités”. Notez la différence profonde dans les éléments de langage : “avoir des facilités”, c’est acquis, déterministe. On est né comme ça, chouette, ou pas, zut ;
  2. Le monsieur nous réinvente les classes hétérogènes. Il a mal compris les groupes de niveaux, qu’il semble concevoir au sein de la classe. Il est quand même bien, bien à côté de ses pompes ;
  3. Ah non, finalement on laisse les “en facilité” travailler dans leur coin, mais en aidant les “en difficulté”. On fait du collectif, mais en groupe de niveaux dans la classe.
  4. Heu attendez… Laisser les élèves qui “ont des facilités” travailler tout seuls, “dans leur coin” ??? Pardon ? Comment apprennent-ils des choses nouvelles, alors ? Et donc ça, ce n’est pas de l’individualisation ?
  5. C’est quand même un bel éloge de l’hétérogénéité, du collectif, de l’équipe, bref de tout ce qu’on nous enlève.

J’aurais pu noter aussi la confiance donnée explicitement à notre ministre sur la base d’un argument fort peu convaincant.
Le député RN a l’air tellement sidéré que c’en est délicieux :

Allegorie de la sidération