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La débâcle du mois de juin

Extrait d’un article du Monde d’aujourd’hui :

S’il défend ce calendrier, Pierre Mathiot, coprésident du comité de suivi de la réforme du lycée – qu’il a contribué à façonner –, estime lui-même qu’il a « manqué une réflexion de fond » sur le sens des épreuves de spécialité et leur inscription dans la progression annuelle des lycéens. « L’idée de la réforme du bac, ce n’est pas de faire se dérouler en mars les épreuves qui avaient lieu auparavant en juin », fait-il valoir dans la revue La Grande Conversation.

Source

Le blog de Fabrice Erre

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La déliquescence du bac

Je me refuse à deviner les intentions de Jean-Michel Blanquer lorsqu’il a porté la mouture actuelle du bac. Pouvoir choisir des disciplines me semble en soi une idée intéressante. Appuyer l’obtention du bac sur le contrôle continu aussi : cela pouvait réduire le stress lié au risque d’accident ponctuel. Mais ça, c’était pour la théorie. Une idée n’est bonne que si elle est déployée de façon raisonnée, réfléchie en fonction des acteurs, des objectifs, des obstacles. Et en pratique, c’est un crash, cette réforme du lycée et du bac. Outre le manque de cohérence du système de spécialités, l’idée du contrôle continu a induit des effets délétères pour les lycéens.

Nos lycéens sont anxieux, à cause d’un système de contrôle continu qui transforme en couperet (pour le bac, mais aussi et surtout pour ParcoursSup) chaque évaluation. Ils ne travaillent plus pour les savoirs ou développer leurs compétences, ils travaillent pour la performance. Aucune réflexion collective n’a été initiée à grande échelle pour réfléchir la gestion de l’évaluation : on est à mille lieues de l’évaluation dynamique des compétences. On prend des photos ponctuelles mais définitives, et voilà. Cela n’a rien d’éducatif. Par l’incompétence du gouvernement, on prépare une génération abimée. On court après le temps, on fait comme si mars ne signait pas des vacances au moins à temps partiel, on s’interroge, jusque sur les sites institutionnels, sur comment occuper les lycéens au troisième trimestre.

C’est un naufrage.

Aujourd’hui, nous apprenons que n’importe quel adulte dans les établissements pourra surveiller le bac. Nous sommes d’accord, surveiller n’est pas compliqué, mais nécessite de vivre certains enjeux, d’incarner un positionnement précis. Il y a des gestes techniques, des points de vigilance précis, des protocoles à respecter. S’ils ne le sont pas, il y aura évidemment des recours justifiés.

Nous apprenons aussi que les élèves pourront arriver en retard, et resteront de sorte qu’ils composent le temps prévu. Cela signifie-t-il que personne ne sortira avant que le dernier potentiel retardataire soit rentré dans la salle ? Car sinon, nul doute que les sujets auront déjà été diffusés, et des éléments de correction aussi. Je ne trouve nulle part cette information : va-t-on empêcher les candidats qui voudraient sortir de quitter la salle d’examen ? C’est pourtant important de façon élémentaire. C’est concret, pratique, bassement matériel. Mais nous autres avons les pieds sur terre, justement.

Alors le débat, parfois violent, de grève ou pas grève du bac, est d’autant plus dommageable : ne se trompe-t-on pas de cible ? Qui a détruit le bac, finalement ? Que signifie-t-il aujourd’hui ? La souffrance des collègues qui penchent pour la grève du bac doit-elle être hiérarchisée, définie comme secondaire par rapport à l’implication des lycéens dans l’obtention du bac ?

Je ne crois pas que ce soit le moment de se déchirer. Les choses sont complexes et délicates, et tous les points de vue se défendent et peuvent se comprendre. Ne dilapidons pas notre énergie et nos capacités d’analyse dans des disputes stériles. En revanche, débattons, discutons. Et luttons.

Et puis quand même, ce débat et ces dissensions ont quelque chose de perturbants : lorsque le lycée professionnel est passé au contrôle continu, on n’a pas entendu grand-chose. Les questions vives de la certification des bacheliers professionnels, leur ressenti, leur vécu, leur réussite n’ont pas été interrogés de façon partagée. En ce moment, la levée de bouclier autour du bac, qu’elle soit autour du dispositif ou autour du déroulement de cette session, ressemble à une lutte de classe. Le gouvernement aurait pu en faire autre chose et éviter ce état de fait, en organisant une réflexion collective. Il ne l’a pas fait, nous mettant par là-même dans une posture philosophiquement et humainement plus qu’inconfortable.

A aucun moment la question ne se pose de façon globale sur ce que c’est qu’éduquer la jeunesse, de quel projet de société veut véhiculer l’école. Formons-nous encore une société, ou des castes plus ou moins influentes ?

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L’exo turc du jour

Voici l’exercice que j’ai traité aujourd’hui pour préparer une élève turque à son examen :

En voici l’idée en français : Ali ne se rend dans son jardin que le dimanche de chaque semaine. Après quelques semaines, Ali a taillé un arbre de 40 cm qu’il a planté dans son jardin et a raccourci sa hauteur de 25 cm. L’arbre, qui avait grandi de 2 cm chaque semaine avant d’être taillé, a commencé à grandir de 3 cm chaque semaine après avoir été taillé. Ali a constaté que la hauteur de cet arbre était de 40 cm 11 semaines après qu’il l’ait planté. D’après cela, combien de cm mesure la hauteur de l’arbre immédiatement après la taille ?

Encore un exercice qui exige une capacité de lecture et d’interprétation importante. En France, rien que le nombre de mots, les concepts de grandir, raccourcir, avant et après, poseraient problème à nombre d’élèves.

Ce qui est sympa dans cet exercice, c’est que l’algèbre permet de simplifier grandement l’image mentale. Une difficulté réside manifestement dans le fait de poser 11-n semaines après la taille, si Ali a attendu n semaine avant de tailler cette plante. Ce point a résisté à mon élève, et là, ce qui m’a bien servie, c’est le schéma en barres… Moi qui suis assez agacée par son recours systématique, ici il m’a vraiment été utile. Deux autres difficultés ont été la gestion de 3x(11-n) et le fait que n=1n. Des difficultés tout à fait signifiantes, robustes et intéressantes à lever.

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A l’école universelle en 1934

Après m’être penchée sur des sujets de maths l’école universelle (une sorte de CNED de l’époque, si j’ai bien compris), j’ai farfouillé dans les copies de Yann Collin, qui préparait le bac en 1934.

Yann a été corrigé par deux correcteurs différents en maths. Les annotations sont très bienveillantes pour l’un, et très répétitives pour l’autre. Yann semble attester dès le départ d’un assez bon niveau, et avoir progressé de manière significative rapidement.

Dans les copies de Yann, on trouve (entre autres) beaucoup de second degré, d’étude de variations de fonctions (des fonctions polynômes, des log), d’études de coniques, de constructions à la règle et au compas, de transformations (des symétriques, des homothéties), de la trigo :

Je trouve toujours que les copies ont quelque chose de touchant : c’est assez intime, une copie de maths, car cela témoigne d’une réflexion singulière, d’un effort fourni, d’une prise de risques. Là, imaginer Yann Collin cogiter et composer l’année où est né mon papa est encore un peu différent.

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Au programme du bac en 1934

Mon mari a acquis des cours et des copies d’un élève préparant le bac en 1934. Parmi ces travaux, il y a des maths, dont l’enseignement a été dispensé par correspondance.

Les devoirs de maths sont très appuyés sur les sciences physiques. par exemple, en voici un en intégralité :

Pour bien comprendre la différence, voici un sujet (couplé au sujet de maths ci-dessus) de sciences physiques. Certaines pages n’ont pas été découpées, c’est pourquoi la photo est prise différemment :

Je me plonge maintenant dans les copies de l’élève Yann Collin(né en 1916, est devenu ensuite général de brigade en passant par Saint Cyr et l’école supérieure de guerre).

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Objectif bac : accompli

Vous êtes nombreuses et nombreux à me demander si ma fille Alice a obtenu son bac. Alice est autiste et ne s’exprime pas à l’oral. Elle ne peut pas accéder à l’implicite. Pour elle, les épreuves orales et celles d’interprétation (français, philosophie) sont proprement inaccessibles.

Alors voilà : Alice a obtenu son bac et elle a même une mention assez bien.

C’est un long et rude combat qui s’achève aujourd’hui pour elle, avec ce sésame pour s’engager plus avant si elle le souhaite. Mais pour nous aussi c’est un aboutissement. Les parents d’élèves à besoins particuliers le savent, c’était vraiment un défi. Nous avons heureusement reçu de l’aide, des personnels de son lycée et de l’inspection.

Je suis infiniment fière de ma fille. Elle a fait preuve d’un courage, d’une ténacité et d’une intelligence qui m’ont impressionnée. Nous ne savions pas si c’était possible, le bac. Et elle a même cette mention, qui ne change rien, sinon qu’elle rend sa victoire encore plus éclatante.

Bravo, Alice.

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Le lycée Saint Saens à Rouen

Ma fille Alice a terminé sa scolarité de lycéenne. Elle a passé le bac. Elle l’aura, et si elle ne l’avais pas eu elle n’aurait pas repiqué, car son spectre autistique a fait de ce bac une épreuve incroyable.

Devant les obstacles qui se dressaient devant elle, et de ce fait devant nous, j’ai alerté, demandé de l’aide au ministère de l’éducation nationale, à monsieur et madame Macron, à des ministres, des députés, des sénateurs. J’ai reçu une réponse du cabinet du Premier ministre, qui m’a avisée que le ministère de l’éducation nationale me répondrai. J’ai ensuite reçu une réponse du ministère de l’éducation nationale, qui m’a dit que pour le principe d’équité, ma fille devait passer le grand oral sans aménagement de l’entretien. Et puis rien d’autre.

Nous avons donc fait simple : elle a écrit son grand oral, son accompagnatrice l’a lu, et a ensuite informé le jury qu’elles s’en allaient toutes les deux et que ce n’était pas grave. Parce que le jury était un peu déstabilisé, forcément, et embêté : les collègues veulent bien faire les choses, en général.

Alice est ressortie fatiguée mais apte à communiquer avec moi, et tournée vers de nouveaux projets. Le but est donc atteint : traverser sa scolarité secondaire sans s’abîmer. Avec en cadeau bonus le bac, pour lequel elle a bossé avec un grand sérieux.

Sauf que seuls, nous n’aurions sans doute pas réussi ; au moins pas ainsi, mais peut-être pas du tout.

L’équipe de vie scolaire, en collaboration constante avec l’infirmière, nous ont proposé des aménagements de scolarité auxquels nous n’avions pas pensé, dès la seconde, avec une intelligence et une bienveillance formidables ;

Le secrétariat a été d’une vigilance continue pour nous transmettre les documents, demander les aménagements, vérifiant toujours que la communication fonctionnait ;

L’équipe de direction est montée au créneau pour plaider la cause d’Alice, a organisé ses épreuves de bac, a communiqué avec l’établissement d’accueil pour les épreuves, a répondu aux dizaines de mails et de coups de téléphone de la maman souvent angoissée que j’ai été ;

Des inspecteurs se sont mobilisés, par exemple pour aménager l’épreuve pratique de NSI, avec un naturel et une efficacité désarmants. L’épreuve s’est super bien passée d’ailleurs ;

Les enseignants se sont adaptés, devant des situations inédites. Ils ont été fidèles et constants, acceptant de suivre Alice sur ses trois années pour ne pas changer ses repères (merci David !) ;

Marie, l’AED qui a accompagné Alice, a même pris un jour de congé pour venir avec elle au grand oral… Sans nous le dire, juste comme une évidence.

Personne, mais absolument personne ne nous a jamais dit ni sous-entendu qu’Alice “n’avait qu’à respirer un bon coup de se lancer”, par exemple. Toutes et tous l’ont et nous ont respectés, et ont eu l’air de la faire de façon naturelle.

Alors autant je me suis insurgée (et je continuerai) contre l’institution au niveau national, autant aujourd’hui je veux remercier publiquement cette équipe et ces personnes, singulières, qui ont permis qu’Alice arrive au bac. Grâce à elles et eux, Alice forme des projets nouveaux et personnels, qui ne seraient pas possibles sans ce fichu bac.

Mesdames, messieurs, vous avez participé à la construction de la vie d’une jeune personne extraordinaire.

Merci.

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Respect

Demain, ma fille passe le grand oral. Demain, elle en aura fini avec sa scolarité de lycéenne.

Elle a si bien travaillé, je suis admirative. Elle s’est battue avec ténacité depuis si longtemps… Elle est fière d’elle, là, ce soir : elle sait parfaitement ses deux sujets.

Peut-être demain rien ne sortira ; l’autisme est ainsi. Mais peu importe. Elle accomplit son exploit.

Elle y sera parvenue grâce aux personnels de son lycée, le lycée Camille Saint Saëns à Rouen. J’écrirai bientôt sur elles et eux, car elles et ils ont rendu possible.

Bon, en attendant dodo : la journée va être… Je n’en sais rien, en fait, ce qu’elle sera. Et ce n’est pas bien grave.

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Le bac et ma fille : la délicatesse qui répare

Dans la catégorie bonne nouvelle, et même franchement excellente nouvelle, après des aménagements bien ajustés pour l’épreuve pratique de NSI, nous venons d’être informés d’aménagements pour le grand oral : ma fille aura son moment d’interactions par écrit (ça c’était prévu), que ce soit pour recevoir les questions ou pour y répondre, mais, surtout, les questions seront le plus fermées possible, le barème adapté, et le jury aura été mis au courant des aménagements en amont. Et ça, ça change tout. Pour ma fille comme pour le jury, d’ailleurs.

Ce que ça change aussi, c’est ma sérénité à moi. J’ai un énorme poids en moins. J’ignore si Alice réussira ses épreuves, mais au moins elle est prise en compte, en tant que personne et non sous la forme d’un numéro de candidat dérangeant. La communication avec les inspecteurs qui s’en chargent a été fluide, empreinte de bienveillance, sans l’ombre d’un jugement. Délicate, en fait. Je vis cela comme une réparation.

Je sais que des personnes se sont senties heurtées, vexées, peut-être blessées par ma communication, des articles ici ou la lettre ouverte commune avec d’autres parents d’enfants autistes. Evidemment mon intention n’était pas de heurter qui que ce soit, mais simplement de faire respecter les droits de ma fille et de lui permettre de passer au moins ce fichu bac. Elle a 17 ans, et ça fait bien 12 ans de lutte scolaire, donc de lutte personnelle. Elle tient bon, mais c’est vraiment dur. Et donc, si des personnes de bonne volonté se sont senties heurtées, j’en suis désolée ; mais il faut que nous nous interrogions collectivement : pourquoi ces personnes n’ont-elles pas eu vent plus tôt du cas de ma fille, alors que nous nous sommes attaqués à la demande d’aménagements pour le bac dès le début de la classe de seconde ? Pourquoi faut-il hurler pour être entendu en plus haut lieu que l’établissement scolaire ? Le lycée (équipes enseignantes, de vie scolaire, infirmière, administration) sont montées au créneau avec nous ; la médecine scolaire aussi. Eux aussi ont été frustrés des fins de non recevoir, eux qui oeuvraient activement à rendre le quotidien scolaire d’Alice moins difficile. Des services académiques ou ministériels m’ont dit (mais jamais écrit, bien sûr) des choses violentes : « Estimez-vous heureuse qu’elle soit en terminale ! C’est rare dans un cas comme le sien », « L’égalité, madame, vous savez ce que c’est ? » (oui, et l’équité, aussi), « Votre fille n’est peut-être pas faite pour le bac, à un moment il faut savoir s’arrêter », sans compter les « Elle est timide, en fait, hé bien c’est l’occasion, elle se force, elle respire et voilà ! », « Tout le monde est capable de passer le grand oral. Tout le monde. C’est une promenade de santé ». On m’a plusieurs fois affirmé que ce n’était pas le corps d’inspection qui s’occupait des aménagements, intimé de ne pas m’adresser à eux ; et tout ça, c’était faux. Peut-être les personnes qui m’ont dit cela ont-elles fait une erreur, peut-être suis-je tombée au mauvais moment, mais en attendant derrière il y a une personne, une famille, un combat, de la souffrance.

Je n’ai pas non plus reçu de réponse à notre lettre, de la part des 37 élus à qui je l’ai envoyée, sauf du cabinet du premier ministre qui m’a informée que ce n’était pas son affaire et que le ministère de l’éducation nationale me répondrait.

Je vous laisse imaginer l’impasse dans laquelle se trouvent les familles qui ne connaissent pas l’éducation nationale : je suis prof, tenace, en lien avec beaucoup d’interlocuteurs à l’intérieur du système, qui m’ont aidée. D’autres n’apprécient pas ou me trouvent pénible et je suis capable de l’entendre, et de le relativiser sans me sentir illégitime : soit ils sont frustrés car ils auraient aimé pouvoir intervenir et nous nous entendrons, car ce n’est ni leur faute, ni la mienne, soit nous resterons en désaccord car le problème est plus profond.

En attendant, l’air est plus léger sur nos épaules. Merci beaucoup, beaucoup aux inspecteurs qui nous ont apaisés.

Alice entame la dernière ligne droite et ensuite une nouvelle ère commence.

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Kanapoutz

Ce matin, je me suis dit allez cocotte, lis le rapport sur la place des maths au lycée.

Bon.

Au moins, le rapport est facile à lire. Une longue première partie dresse un bilan et expose la méthodologie. Le bilan pose certains éléments que l’APMEP dénonce depuis très longtemps, et que le ministère niait avec ténacité.

Page 3, je lis :

Le sujet de la place des mathématiques dans la réforme du LEGT ne peut pas être traité sérieusement et avec méthode sans le rappel de six éléments de cadrage préalables.

“Sérieusement” et “avec méthode”, avec un ministère qui enlève les maths pour en remettre sous le même mandat sans contenu ni solution concrète humaine, c’est vrai qu’on en a besoin.

Page 6 :

Le choix de la réforme a été de viser les mathématiques intensives et les mathématiques intermédiaires, en considérant qu’il était acceptable qu’une partie des élèves cessent de faire des mathématiques dès la fin de la seconde ; cela était le cas pour une partie des élèves de la série L, 50 000 chaque année dans les dernières années de son existence. Il semble à première analyse que la perspective de ne plus avoir de mathématiques à partir de la première engendre des effets pervers dès l’entrée en classe de seconde. En effet, une partie des élèves, dont les compétences du socle sont relatives, se démobilisent très vite. Les classes sont difficiles à gérer du fait de l’hétérogénéité des niveaux et des degrés de motivation, même si ces questions concernent aussi sans doute les autres disciplines. De la sorte, on
manque singulièrement l’objectif d’assurer un niveau général de « mathématiques pour tous » satisfaisant, auquel la classe de seconde doit contribuer pleinement.

Notez la subtile évocation des élèves de la filière L, dont l’effectif n’a absolument rien à voir avec celui des élèves qui aujourd’hui ne font plus de maths (en gros on est passé de 10% à 40% d’élèves de terminale sans maths). Ensuite, je ne sais pas comment prendre “difficiles à gérer”. D’ici à ce que ça nous retombe sur le nez parce qu’en plus d’en faire bien peu, nous le faisons bien mal, il n’y a pas loin.

Page 16 :

Voilà qui est audacieux, vu que nous ne disposons que des données d’une cohorte de bacheliers nouvelle mouture. Certes, des taux d’orientation en classe préparatoire sont donnés, mais sans connaître le nombre de places ni la suite de leur parcours, c’est audacieux.

Côté propositions :

Pour l’accès aux maths des filles, il semble que ce soit une question de “pilotage actif”. (page 22)

Le maintien de trois spécialités en terminale n’est pas retenu. Dommage.

En première lecture, ce rapport me fait l’effet d’un kanapoutz. Et de toute façon c’est un rapport, mais il faut attendre les décisions concrètes que décidera le ministère.

Il est ici, si vous souhaitez le lire.

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Inclusion et grand oral

Bon. Je vais tenter de rester calme.

Un élève de terminale qui est autiste, et ne peut pas s’exprimer à l’oral, peut bénéficier d’aménagements. Par exemple, cet élève peut bénéficier de temps supplémentaire pour tout écrire. Et un lecteur lit à sa place.

Jusque là, tout va à peu près bien. L’épreuve risque d’en être une au sens littéral du terme, évidemment, mais admettons.

Là où les choses se corsent, c’est pour l’évaluation : au travers du grand oral, ce n’est pas le fond de ce qui est présenté qui est principalement évalué. C’est la forme. Voici une grille indicative de l’académie d’Amiens :

Vous voyez le souci ? “Qualité orale de l’épreuve”, “qualité de la prise de parole en continu”, impossible à évaluer ici, sauf à évaluer les compétences du lecteur, qui d’ailleurs de son côté ne connaît a priori rien au sujet, ce qui ne va pas l’aider à être au top de sa prosodie. “Qualité des connaissances” et “qualité des interactions” reposent sur les échanges, leur dynamisme (enfin, dans “qualité des connaissances, l’écrit permettra d’évaluer des choses quand même). Là encore, les questions devront être posées à l’écrit et leur réponse fournie à l’écrit par le candidat. Du point de vue interaction, c’est en décalage avec la fameuse “norme”. “Qualité et construction de l’argumentation”, ok, ça peut le faire au travers de l’écrit. En étant positive, je vois deux items sur 5 évaluables.

En plus, la présentation dure seulement 5 minutes, contre des échanges de 10 minutes… Ah et j’oubliais la délicieuse partie “causons orientation à bâtons rompus”, qui en plus des mêmes problèmes que précédemment pose une nouvelle difficulté : le candidat, en raison de son handicap, ne peut pas se projeter dans l’avenir. Vu la situation, on le comprend d’ailleurs.

Voilà.

En plus, l’examinateur étant extérieur, il ne connaît pas le handicap du candidat. Il sera briefé, bien sûr. Mais par expérience, il est des examinateurs qui s’en contrefichent, demandent à un candidat dont on a annoncé qu’il ne peut pas interpréter l’implicite… d’interpréter l’implicite, direct comme ça paf, et qui lui mettent une bonne grosse gamelle.

Mais c’est comme ça, on ne peut pas faire autrement, vous comprenez.

Non ?

Moi non plus.

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B-A-BAC ?

Dans le Monde, Annabelle Allouch, maîtresse de conférences en sociologie, écrit sur le bac. C’est l’année ou jamais pour questionner le bac sous sa forme d’examen bloquant, et le bon moment pour moi de mener ma charge annuelle un brin provocatrice. Le titre de son article est :

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Pour moi, le bac est un vestige archaïque de l’évaluation passéiste. Je sais que certains d’entre vous vont bondir (et on peut discuter, rasseyons-nous ensemble), mais je suis contre le fait de bloquer les jeunes par le bac. J’ai vu beaucoup de lycéens ramer dur pour décrocher leur bac en deux ou trois années de terminale et réussir ensuite des études supérieures. J’ai aussi vu beaucoup, beaucoup de lycéens décrocher leur bac sans problème, voire avec une mention, et échouer successivement à différentes poursuites d’études, pour finalement s’arrêter là. Alors je pense que le bac tel qu’il est en ce sens a un côté bizutage plus ou moins assumé. Annabelle Allouch évoque d’ailleurs la question du “bac bloquant” :

On avance souvent l’exemple de la session 1968 du baccalauréat, celle qui a suivi le mouvement de Mai. Passée à l’oral seulement, elle a conservé l’image, erronée, d’un « bac au rabais ». Mais avoir eu moins d’épreuves, avec un taux de réussite plus élevé, a permis à la génération de bacheliers de 1968 d’avoir une trajectoire professionnelle bien meilleure que les précédentes. Des économistes et des sociologues britanniques en ont fait la démonstration. De ce point de vue là, il y a de l’espoir…

Notez que je ne suis pas contre un examen terminal, national, équitable, exigeant et lisible, qui donne un curseur du niveau de connaissances et de compétences des élèves. Je ne m’oppose ni aux examens, ni à l’évaluation évidemment. Évaluer et certifier sont des actes nécessaires pour mesurer les effets d’enseignements et d’apprentissages. Mais je crois qu’on pourrait faire davantage confiance. Une évaluation vraiment positive, depuis l’entrée en maternelle jusqu’à la fin des études (et aussi professionnellement), permettrait à chacun de faire ses choix, en toute connaissance de cause. L’évaluation infantilise, souvent, telle qu’elle est envisagée chez nous. Cette infantilisation, qui se déploie dans tous les domaines actuellement, est méprisante, à mon sens.

L’autre aspect du bac qui me heurte, c’est que pour donner plus de chances aux élèves de l’avoir, parfois on les formate, on développe des automatismes, bref, on bachote. Or enseigner c’est faire grandir, rendre libre et capable de faire des choix éclairés au regard de ses connaissances et de ses capacités de raisonnement. Faire apprendre des trucs par coeur pour qu’ils soient oubliés aussitôt ne certifie rien du tout. Enseigner un programme, c’est chouette : on y navigue, on y fait des choix de focales, de développements. On le traite avec sérieux, mais on y vit. Enseigner à savoir répondre à une épreuve de bac, c’est beaucoup moins rigolo.

Enfin, que le bac soit une “institution” m’est bien égal. Le progrès consiste à interroger ce qui existe pour le transformer en mieux. En revanche, Annabelle Allouch porte un regard sur l’importance des rituels. Qualifier le bac d’institution ou le voir comme un rituel, c’est en même temps la même idée et très différent. Pour autant, un rituel n’a pas de raison d’être immuable : on peut en réinventer, s’ils sont nécessaires :

En France, les changements de niveaux passent presque toujours par une évaluation. Pourquoi ne pas s’emparer de l’expérience du confinement pour la transformer en rituel d’adieux ? Pourquoi ne pas imaginer des exposés, un récit de ce moment très particulier que les lycéens partageraient entre eux, lors d’un moment festif avec leurs enseignants en septembre ? En matière de rituels, tout peut être imaginé…

Madame Allouch écrit aussi :

Le baccalauréat, ce n’est pas seulement un rite individuel où l’élève reçoit une série de notes. C’est aussi un rite institutionnel et politique. En passant les épreuves, le jeune n’est plus jugé uniquement par ses professeurs : il rencontre pour la première fois l’État, qui valide ses capacités et lui garantit une égalité de traitement par rapport à ses pairs. Sous la IIIRépublique, le certificat d’études incarnait déjà ce rapport aux institutions ; avec ce diplôme national, l’État certifiait la valeur du citoyen. Cela n’a pas beaucoup changé. Et c’est de cette première rencontre avec l’institution politique que la promotion du « bac 2020 » se voit privée.

Je comprends cette idée de rencontre avec l’État, de validation officielle. On pourrait discuter l’emploi du mot “capacités”, ou y adjoindre l’adjectif “scolaires”. Mais je ne suis pas d’accord avec “l’égalité de traitement par rapport à ses pairs”. Pas du tout. D’ailleurs Annabelle Allouch écrit :

Les épreuves du baccalauréat n’ont jamais été égalitaires ; il s’agit déjà d’un examen socialement discriminant.

Comme première rencontre avec l’État, on peut donc faire mieux.