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La didactique c’est fantastique

Il y a longtemps, peut-être vingt ans, je suis allée pour la première fois aux journées nationales de l’APMEP. Je me souviens d’avoir été renversée par le nombre et la variété des questions que je ne m’étais jamais posées. C’était une impression très forte, que je n’ai jamais oubliée, et qui a sans doute tout changé.

Je me souviens aussi du banquet. Ce n’est pas trop mon truc, ce genre d’événement, mais j’avais envie de voir. Je n’ai pas été déçue, et un collègue avait sorti la guitare, en fin de soirée, pour chanter une chanson sur le fait que la didactique, c’est fantastique. Ça aussi, cela m’a laissé un souvenir absolument impérissable…

Et puis les années ont passé. J’ai enseigné dans des tas de contextes, de niveaux, de dispositifs différents, avec une gloutonnerie intellectuelle permanente, un sentiment d’urgence d’apprendre, de me renouveler, de ne pas m’encroûter, de ne rien rater.

Le sentiment de ne rien rater m’a sans doute amenée à parfois m’engager dans trop de choses. J’en ai eu, j’en ai, des moments d’épuisement… En même temps, j’ai besoin d’être en mouvement, tout le temps, et de communiquer, aussi. Autant assumer. Et si je regarde aujourd’hui où j’en suis, je mesure tout ce que j’ai appris. Je mesure toutes les magnifiques occasions qui m’ont été données, toutes les missions que l’on m’a confiées, toutes les personnes passionnantes avec qui j’ai pu travailler. Je mesure aussi la confiance que j’ai reçue, que je reçois, mais aussi le nombre grandissant de personnes en qui j’ai confiance (c’est sans doute là le plus précieux). J’en sais peu, et pourtant le chemin parcouru est énorme, en particulier du point de vue didactique.

Et maintenant, je sais aussi mieux ce dont je suis capable, et ce dont j’ai envie. Je n’ai qu’une hâte : être au moins de septembre pour m’engager dans la M2 de didactique des maths qui me fait tant envie, et puis dans mes autres projets, s’ils voient bien le jour.

J’ai tout de même une chance folle : non seulement j’ai beaucoup appris, mais en plus j’ai encore tant à apprendre !

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On aurait dû manger toute la tablette, madame, ça nous aurait moins pris la tête

Certes.

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Cet exercice était le premier de la dernière évaluation de sixième, la divisibilité, les fractions, valeur exacte et valeur approchée, les solides, les volumes. Comme j’ai quelques élèves en grande difficulté qui fatiguent et se découragent, à force, je voulais faire le point de leur représentation des fractions simples : lors de la dernière activité évaluée (une tâche à prise d’initiative), j’avais quand même sept élèves sur vingt-six qui n’avaient pas assimilé qu’un quart, c’est une part parmi quatre égales, ou que c’est la moitié de la moitié. Je bataille ferme depuis septembre, mais vraiment j’ai rarement rencontré pareille résistance cognitive.

Cette fois, j’ai un seul élève qui n’a pas compris ce qu’est un quart. Mais j’ai une foultitude d’erreurs diverses, évidemment intéressantes à analyser, d’autant qu’enfin mes élèves explicitent leur démarche, presque tous. Ouf.

carrés du dessus.pngCet élève, comme quelques autres, a été déstabilisé par la forme du fantôme de carrés de chocolat mangés : prendre un quart de la tablette, pour lui, c’est la couper en deux et encore en deux, comme il me l’a représenté ce matin. Il m’a même proposé deux possibilités : en coupant selon les médianes ou en colonnes. Mais quand je lui ai demandé si six carrés comme sur ses dessins c’était autant que six carrés sur la consigne, il m’a dit que oui, c’était autant de carrés, mais dans son cas cela représentait un quart, et sur la consigne non. C’est intéressant car cela montre que le concept de fraction n’est pas ici compris comme un nombre, mais comme une configuration visuelle stéréotypée. Cet élève s’accroche aux schémas, aux dessins, à l’approche première des fractions pédagogiquement, et procède toujours de la même façon. Lorsque je le fais sortir de ses stratégies, il m’écoute patiemment mais ne modifie pas pour autant sa démarche. Jusqu’à ce matin ; il a eu l’air de comprendre. Je vais réactiver la semaine prochaine et je le re testerai après les vacances.

Deuxième production, qui montre un gros souci de conceptualisation de la fraction :

compréhension quart

Cet élève calcule bien le nombre de carrés au total, et exprime la part mangée, sous forme de fraction : 6/24. Mais il pense que “le quart” envoie à “quatre carrés”, et compare, bien par ailleurs, 4/24 et 6/24. Là aussi, nous en avons parlé ce matin et cet élève a semblé comprendre que “le quart” est une proportion relative, alors que quatre est absolu (et même chose pour le tiers/trois), comme si c’était une découverte. Cela m’interroge sur ma façon de transmettre : comment cette erreur de conceptualisation a-t-elle pu m’échapper, alors que je les questionne tous ?

Ça a été plus difficile de convaincre l’auteur de cette réponse :

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Selon lui, il a raison et en plus il est bien persuadé que j’ai compris ce qu’il écrit. C’est d’ailleurs vrai. Mais je ne peux pas évaluer positivement, sous la compétence “comprendre l’écriture des nombres”, 6×4=24/24 ou ses autres assertions. Cet élève a compris ce que représente la fraction, mais il n’a pas compris le sens du signe égal. Je lui prépare donc, pour demain (et j’en ferai profiter ses camarades) une petite activité avec des égalités, dans lesquelles le “bon résultat” apparaît toujours, mais qui ne sont pas toutes acceptables. Comme nous travaillons en ce moment les enchaînements de calculs, c’est pile le bon timing : je vois beaucoup de phrases du type 4+2×5=10=4+10=14 et nous allons pouvoir expliciter tous ensemble.

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Ici, je ne sais pas. Un quart, c’est trois fois la moitié ? Il faudrait en manger huit ? Est-ce une confusion tiers-quart ? Le “trois fois” s’y réfère-t-il ?Mais alors pourquoi “trois fois la moitié”? Il faut que je demande à cet élève ce qu’il a pensé, mais ce matin je n’ai pas eu le temps.

Une réponse mystérieuse : c’est… vrai, faux ? Je ne sais pas. Sans doute faux :

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“Il faut prendre ce qu’il y a de surligné” me fait penser à un problème similaire à la première production : les deux carrés solitaires “auraient dû” être ailleurs selon cet élève.

Ici, la fraction mangée est bien identifiée, et l’élève a simplifié la fraction en indiquant la division, comme je le pratique en classe (je n’aime pas du tout qu’on barre des nombres sous prétexte qu’on les “voit en haut et en bas”, ce qui amène à appauvrir le sens et à faire des bêtises) :

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Cet élève n’a pas su conclure, mais s’est quand même engagé, ce qui est bien. Ce qui l’a bloqué, c’est qu’ensuite il a “eu envie de resimplifier par 3”, mais n’était “pas sûr de ce qu’il y aurait en haut”. La remédiation est de revenir au sens de la division : dans 3, combien y a-t-il de fois 3 ? “Bin une fois !” Bin oui, 1 fois.

Enfin, un lot de productions plus ou moins satisfaisantes, mais “justes”. On y trouve ceux qui voient la fraction comme un quotient, ceux qui relient le quotient à l’écriture fractionnaire et sont capables de simplifier, ceux qui procèdent plutôt par multiplication à trou, ceux qui dénombrent 9 carrés mangés au lieu de 6, ceux qui font des “paquets de six” de formes différentes, ceux qui enchaînent les erreurs de calcul, ceux qui cherchent la moitié de la moitié.

Toutes ces représentations sont très différentes et correspondent à des niveaux de représentation et de modélisation inégaux, naturellement. Mais nous avons encore du temps devant nous…