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Rêver

La bataille du niveau est engagée, paraît-il. Alors en fait, la bataille du niveau est engagée depuis fort longtemps. Nous, enseignants, nous bagarrons pour nos élèves depuis toujours. C’est le sens, l’histoire même de notre métier. On pourrait se dire que nous avons bien du mérite, malmenés, dévalorisés comme nous le sommes. C’est vrai, d’ailleurs. Souvent nous fatiguons, parfois nous souffrons, certains abandonnent alors que ce sont des enseignants formidables. Ceux à qui on demande comment ils font ou ont fait pour exercer le métier d’enseignant si longtemps ont en général la même réponse : « oui mais tu vois c’est pour les élèves… ».

« Pour les élèves ». C’est-à-dire ? Qu’est-ce qui nous met ainsi inlassablement en mouvement ? La promesse d’avenirs individuels qui forment un avenir commun. Que voyons-nous en nos élèves ? Des personnes. Ni des bulletins sur pattes avec moyenne générale au dixième de point près, ni des machines à répondre à des évaluations standardisées, ni des robots à produire des dictées, ni des phénomènes de la table de multiplication. Et pourtant, nous œuvrons aussi à ce qu’ils maîtrisent ces fameux fondamentaux. Mais nos élèves sont des êtres humains, tout aussi complexes que nous, tout aussi mystérieux aussi. Nous n’avons accès qu’à des bribes de leur histoire. A l’occasion ils laissent échapper des indices qui nous laissent apercevoir un peu plus d’eux-mêmes. Nous ne sommes pas là pour tout savoir d’eux : ce que nous cherchons, c’est à enseigner. Nous avons un socle de compétences à travailler, des tas de merveilleux savoirs à transmettre, et aucune limite : pour ces jeunes gens nous sommes porteurs d’exigence et d’ambition. Cependant, pour réussir à leur donner envie de venir à l’école, d’y rester, d’y prendre une place d’élève et de devenir acteur dans leur vie scolaire, il nous faut aussi les connaître. Parce que qui ils sont a des conséquences sur ce qu’ils apprennent, comment ils l’apprennent.

Une qualité que je pense très importante pour un enseignant, c’est l’art du doute. Le doute permet de toujours laisser les portes entrouvertes. Il laisse possible la surprise, sans qu’elle soit déstabilisante. Il ne s’agit pas d’un doute qui inhibe toute action (au contraire, il y invite), ce qui serait contreproductif, mais plutôt d’un doute qui construit, qui fait se dire « et si j’avais tort ? Quelles ressources puis-je interroger pour vérifier la robustesse de ma conjecture ? »

Mais prenons un exemple. Mon exemple d’aujourd’hui se prénomme Caitlyne. Caitlyne est en classe de 5e ordinaire. Elle a un « fichu caractère » et un langage « fleuri ». Elle lit, un peu, au sens de décoder. Elle ne comprend pas un écrit complexe. Forcément son orthographe est défaillante. Sa graphie est tout à fait satisfaisante, mais elle possède un petit lexique et semble ignorer toute règle de grammaire. En classe de français, Caitlyne est en guerre : elle n’écrira pas. Écrire c’est nul. Lire c’est chiant. De toute façon tout ça ça sert à rien dans la vraie vie. Et le collège, c’est certainement pas la vraie vie.

Alors que faire ? Caitlyne ne correspond certes pas aux standards que la société attend de la collégienne lambda. On pourrait se dire : ce n’est pas compliqué, Caitlyne va faire plus de dictées et aussi produire davantage d’écrits, qui seront plus longs. Tout va aller mieux ainsi.

Je veux bien qu’on m’explique comment réaliser cela. Pour ma part, je l’ignore. Enfin si, je peux caler plus de moments de dictées. Mais cela n’aidera pas Caitlyne. Et pourtant, très franchement, une solution simple, économique et standardisée me simplifierait bien la vie.

Pour Caitlyne, heureusement, on progresse. Elle vient travailler avec moi régulièrement. Aujourd’hui, elle a écrit un texte de quelques lignes. Nous avions étudié des œuvres de Picasso, Modigliani et Chagall, grâce au travail d’un formidable collègue qui, en plus, partage son travail. Caitlyne a écrit :

Moi jaime Modigliani car il desine des fames et tout s’ai personage on le coup l’ont. Je trouve c’est beaux. Sa me fais rèvé. jaime bien osi Chagall pour come qu’en ont rève

Caitlyne a déposé son écrit sur mon bureau alors que j’avais le dos tourné. Quand j’en ai pris connaissance, j’ai relevé la tête pour la regarder. Elle me fixait, la tête haute. Elle savait qu’elle avait avancé, vers l’école. J’ai pris le texte, je me suis assise à côté d’elle et nous l’avons retravaillé. Il va falloir du temps, mais elle m’a écoutée. Elle a ensuite retravaillé des exercices pour s’entraîner et mémoriser ce que nous venions d’apprendre. Quand j’ai demandé à Caitlyne comment elle était arrivée à produire son texte, elle m’a expliqué qu’en classe des élèves avaient préparé et présenté des exposés sur des artistes, et que cela l’avait inspirée. C’est le groupe, son hétérogénéité, qui l’ont aidée. Et aussi un dispositif d’aide plus individualisée, mais de façon secondaire.

Ce n’est qu’une partie d’une éventuelle solution, adressée à une élève en grande difficulté. Peut-être demain tout sera à refaire avec Caitlyne. Elle, c’est l’art, qui fait sortir les mots d’elle-même. Pour d’autres il faudra trouver d’autres voies.

Un poisson à la Chagall, par Caitlyne

Sans cet art du doute, ce goût d’observer et de s’interroger sans préjugés ni représentations préalables, nous ne serions pas de bons enseignants. Cette conscience de ne pas forcément tout comprendre est fondamentale. Elle nous prémunit de raccourcis de pensée dénués de nuances, de simplifications délétères. Le doute n’est pas rassurant, bien sûr. Il implique un temps différent, un effort différent, de s’exposer, de tenter, analyser, réguler. Il ne permet pas d’annonces fracassantes en trente mots dans un journal ou sur une chaîne de télévision. Mais c’est bien le moins que nous puissions faire quand des personnes nous sont confiées.

Actualité · Calcul mental · Patatipatata

La proportionnalité du Schokobon

Sachant que j’ai déjà 3 Schokobons au compteur à 9h37, que la formation s’étale sur 6 heures aujourd’hui et que Clément a généreusement apporté beauuuuuucoup de Schokobons, combien pourrai-je en avoir consommé à 16 heures ?

Alors, voyons. Je vais approximer à 36 minutes parce que c’est doublement pratique : 36 est divisible par 3 et le tiers de 36 est 12, qui est lui-même un diviseur de 60. Cela me donne que je carburerais à 5 Schokobons par heure, d’où 30 dans la journée.

Ouch. Ca fait beaucoup, même si c’est une valeur par excès.

C’est pas mal, comme petit exo pour mes élèves, ça.