Au dîner, j’explique que j’ai essayé de faire réfléchir mes élèves de cinquième à ce qu’est la réciproque d’une propriété. Je voulais expliquer à mon mari et mes enfants que :
Si un quadrilatère est un carré, alors ses diagonales sont perpendiculaires
et :
Si un quadrilatère a ses diagonales perpendiculaires, alors c’est un carré
pour beaucoup d’élèves, hé bien c’est la même chose, parce qu’en fait ils ne comprennent pas vraiment la valeur de la première propriété, déjà.
Sauf que mon mari non plus, sur le coup. Il a tiqué directement sur la première propriété : pour lui, lorsque je dis “si un quadrilatère est un carré”, cela suppose une vérification à effectuer. Il fallait, dans son esprit, démontrer qu’on a un carré devant nous. Ce n’était pas sûr, que ce soit un carré. Alors que pour nous, en maths, “si un quadrilatère est un carré” est l’hypothèse de la propriété, la cause qui implique que les diagonales sont perpendiculaires. Devoir le démontrer ou non dépend du contexte, en fait. Mais pour lui, la phrase entière n’avait pas grand sens, du coup.
Bon, je n’étais pas angoissée : je savais qu’il allait comprendre, mais je devais viser la petite fenêtre qui me permettrait de passer.
Notre garçon était plutôt en point d’interrogation : quand tu dis “si un quadrilatère est un carré…”, tu veux dire un précis, un particulier, ou tous les quadrilatères du monde ? Ou tous les carrés du monde ? Excellente question aussi ! Mais pour lui, une fois la question réglée, c’était clair, il voyait le lien logique entre les deux parties de la proposition : si (la cause), alors (la conséquence).
Pour mon mari, ça a été plus long. D’abord parce qu’il a sérieusement stressé cognitivement et qu’il a d’abord eu tendance à refuser de s’engager. Pour lui, les maths ont longtemps été douloureuses et il en reste des traces. Mais il voulait comprendre et cette soif-là a pris le dessus. De mon côté, j’attendais qu’il soit en mesure d’entendre ma reformulation : si ABCD est un carré, alors {AC} et {BD} (je n’ai pas de crochets sous la main) sont perpendiculaires”. Mon mari a réfléchi, et hop, il s’est éclairé : “Ah oui, d’accord, comme ça je comprends, je veux bien. Et ce que tu voulais dire aux élèves c’est que si {AC} et {BD} sont perpendiculaires, ABCD n’est pas forcément un carré”.
Ca en a bouché un coin à ma fille, qui ne voyait pas ce qu’il ne comprenait pas, et qui a été très surprise que là il comprenne si facilement. Mais c’était a priori envisageable : en nommant le quadrilatère, j’ôte le mot quadrilatère de la propriété, j’ôte aussi l’espèce de double condition en hypothèse (quadrilatère et carré), et je donne la possibilité (l’obligation ?) de se représenter mentalement la situation. On ne passe plus de quadrilatère à carré (si quelque chose de pas vraiment identifié, de possiblement implicite qu’on n’a pas réussi à percevoir) aux diagonales. On passe d’un carré, là, dans la tête, à une propriété de ses diagonales, à la quelle il ne peut pas échapper.
Ce qui est vraiment rigolo, c’est que mon mari, tenace, me dit : “redis-moi ta première phrase, maintenant. C’était pas pareil.” Je lui ré-énonce : “Si un quadrilatère est un carré, alors ses diagonales sont perpendiculaires”. Il me dit : “c’est ça que tu m’as dit, tout à l’heure ? Parce que là bah oui, je vois, je suis d’accord”.
Alors ça, c’est assez passionnant : un petit détour par la compétence représenter a permis à mon mari d’accéder à la modélisation. Et quand au moment d’écrire cet article je lui redemande de préciser ce qu’il n’avait pas compris, il ne peut pas : il a compris et n’a plus accès à ce qu’il n’avait pas compris.
Rholala, qu’est-ce que c’est intéressant !